Histoire véritable sur la Demoiselle Sallé, danseuse de l’Opéra
Histoire véritable sur la Demoiselle Sallé,
danseuse de l’Opéra
La souveraine de la danse,
Lasse de recueillir en France
Les lauriers dus à son talent,
En passant dans une autre terre
Trouve encor plus en Angleterre
D’admirateurs et de galants ;
C’est galants de toute espèce ;
Tout fut promis, rien accordé,
Car de la muse de la Grèce
Elle avait le goût décidé.
L’Anglais qui voit que la Sapho moderne
Le rançonne, ensuite le berne,
Ne veut plus payer ses mépris.
La nymphe revient à Paris,
Mais un jeune Milord en était idolâtre.
Il n’avait point déclaré son amour,
Seulement allait au théâtre
La voir à Londres chaque jour.
Il suivit de près son retour.
L’adolescent au teint d’albâtre
Pour réussir à lui faire sa cour
Imagina ce plaisant tour.
Il savait l’allure secrète,
Et qu’il n’obtiendrait jamais rien
Que sous l’habit d’une fillette.
Il se déguise et sait si bien
Qu’il se faufile chez la belle,
Se disant une demoiselle
Qui vient de Londres depuis peu,
Et lui faisant le tendre aveu
Que n’ayant jamais rien vu de si parfait qu’elle,
Son seul désir était de trouver lieu
De contracter ensemble une estime éternelle.
Du compliment on est ravi
Et l’on promet sa bienveillance.
Le double serment fut suivi
D’un doux baiser qui scella l’alliance.
Pour la première fois c’était déjà beaucoup.
Le Milord crut que pour faire son coup
Il ne fallait qu’une nuit favorable ;
Et la trouver c’était le diable ;
De la clarté du jour il craignait le danger ;
Il cherchait donc à s’arranger
Pour conduire à son but l’espérance affermie,
Quand chez une commune amie
On se rassemble sur le soir.
Lorsqu’on veut s’en aller il se met à pleuvoir.
Un petit souper se propose ;
De pluie une plus forte dose
Vers minuit venant à tomber,
Eh ! comment ne pas succomber
Aux instances de leur hôtesse
Qui les engage et qui les presse
D’accepter un bon et grand lit !
À la prière on se rendit.
Il était tard ; après quelque colloque
Entre les draps notre couple se bloque.
La fausse jouvencelle a peur
D’incommoder sa camarade
Qui par une prompte accolade
A l’instant dissipa sa crainte et sa pudeur.
Comme plus forte et plus robuste
Elle attira ce tendron dans ses bras
Et sut se l’appliquer si juste
Que ce n’était qu’un tout du haut en bas.
Que de vivacité, que d’ardeur !
Des termes expressifs quel torrent répandu
Dans l’effusion de leurs âmes !
Tout est donné, tout est rendu.
Les deux langues bientôt dans un délice extrême
S’entremêlent tendrement.
On s’attendait qu’incessamment
Cette caresse ailleurs serait la même.
Mais voyant qu’il allait pan pan,
Sapho dit, je croyais, fillette,
Éprouver de Cloris sa petite houlette,
Ah ! c’est le sceptre du dieu Pan.
F.Fr.15147, p.351-56