Sur l'agiot
Sur l’agiot
Je ne changerai point de ton,
Mais je changerai ma chanson
Car dans ce pays-ci tout change,
Le changeur est changé en sot.
Qui peut avoir fait cet échange ?
C’est l’agiot.
La belette ayant vu un trou
S’y glisssa et grugea son saoûl.
Mais revenant à son passage
Fallut y vider le magot.
Vous en voyez la vraie image
Par l‘agiot.
Pouvait-on souffrir plus longtemps
Dans de pareils tyrans ?
C’était rétablir la Judée
Que de souffrir un tel tripot,
Et la France eût été ruinée
Par l’agiot.
Usuriers qui savez si bien
En volant amasser du bien,
Voilà vos patrons dans la cage.
Vous y serez logés bientôt
Ou vous direz le sot langage
De l’agiot.
Ces palais, carrosses, chevaux,
Qui faisaientt vos plaisirs nouveaux
Vont à présent changer de maître ;
Vous n’irez plus le grand galop
Pour avoir trop voulu paraître
Par l’agiot.
Vos cabinets si précieux,
Remplis de bijoux curieux,
De nudités, de paysages,
De pendules et de beaux bureaux
Ne vous suivrons pas dans la cage
De l’agiot.
Ces beautés que vous aimez tant
Et qui consommaient votre argent
Vont faire une belle culbute
D’avoir perdu un si beau lot.
Elles seules pleurent la chute
De l’agiot.
L’agiot est dans le tombeau,
J’en veux porter un deuil nouveau
D’un plumet blanc, d’une cocarde,
D’un fin habit de camelot
Que j’ai gagné au camarade
De l’agiot.
Maurepas, F.Fr.12645, p.381-83