Le brave Thiroux ou les Marrons
Le brave Thiroux ou les Marrons
Parodie du songe d’Athalie
Acteurs
Thiroux, intendant de Rouen, et premier président du nouveau Parlement
Friquet, président à mortier
Un valet
La scène est à Rouen
Thiroux, au valet
Approchez un fauteuil au président Friquet
Friquet
C’est bien assez pour moi, Seigneur, d’un tabouret.
Je sais ce que je dois à votre Seigneurie.
Thiroux s’asseyant
Heureux qui satisfait d’une tranquille vie,
Libre du joug superbe où je suis attaché,
Rampe dans la boutique où le sort l’a caché.
Friquet
Quel malheur imprévu vous trouble et vous effraie ?
Thiroux
De mes cruels soucis soyez dépositaire,
Ecoutez-moi. Parmi les ténébreux rimeurs
Qui nous ont fatigués de leurs vaines clameurs,
Il en est un surtout, oui, je le confesse,
Qui m’a trop fait sentir par où le bât me blesse.
Je rougis d’y penser ; mais le jour et la nuit,
Malgré moi d’un baudet l’image me poursuit ;
Toujours devant mes yeux se présente une étable,
Je crois manger du foin lorsque je suis à table,
Et lorsqu’à tes côtés je préside au palais,
Je m’imagine braire en dictant des arrêts,
Et je crois le sentir d’une main caressante
Etriller doucement ma croupe obéissante.
Tels sont les noirs soucis qui viennent m’accabler.
Punissons l’insolent qui m’osa persiffler.
Friquet
Vous qui n’avez pas craint de braver l’infamie,
Quoi ! vous vous alarmez au seul mot d’écurie ?
Seigneur, occupez-vous de soins plus importants ;
Vos jours sont en danger ; craignez les mécontents.
Faites jusqu’à l’aurore allumer les lanternes
Et de soldats armés remplissez les casernes.
Thiroux
D’où vous vient aujourd’hui ce noir pressentiment ?
Friquet
Pensez-vous être infâme et fourbe impunément ?
Depuis longtemps on sait cette lâcheté rare
Qui rehausse en Thiroux l’éclat de la simarre.
Hier j’observais le peuple et je voyais ses yeux
Lancer sur votre hôtel des regards furieux,
Comme si dans le fond de ce vaste édifice
Habitait un tyran armé pour son supplice.
Croyez-moi, plus j’y pense, et moins je puis douter
Que sur vous son courroux ne soit prêt d’éclater,
Et que des révoltés la troupe sanguinaire
N’aille venger Thémis jusqu’en en son sanctuaire.
Thiroux
Celui qui triompha des douze parlements
Saura bien arrêter les complots des Normands.
Soumis avec respect à sa volonté sainte,
Je crains le chancelier et n’ait point d’autre crainte.
On entend tout d’un coup du bruit dans l’antichambre
Qu’entends-je, juste Ciel ! le bruit d’un pistolet.
Friquet
De mes pressentiments, Seigneur, voilà l’effet.
Thiroux
Oserait-on commettre un présidenticide ?
Friquet
Mon étrille1 , en tous cas, vous servira d’égide.
Thiroux
Où me cacher ? où fuir ? au secours ! au secours !
Mon cher ami Friquet, ah ! prends soin de mes jours.
Un valet ouvre la porte.
Voici les assassins. Quel bruit se fait entendre ?
Le valet
Seigneur, quelques marrons ont pété sous la cendre.
- 1M. Friquet est le fils d’un maître de poste.
F.Fr.13652, p.86-89