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Parodie du songe d'Athalie

Parodie du Songe d’Athalie

 

M. Gaillard à Madame de Genlis qui traverse le Lycée

Savante gouverneur, est-ce ici votre place

Pourquoi ce teint plombé, cet œil creux qui nous glace ?

Parmi vos ennemis que venez-vous chercher ?

De ce bruyant Lycée osez-vous approcher ?

Auriez-vous dépouillé cette haine si vive ?

 

                  Madame de Genlis

Prêtez-moi l’un et l’autre une oreille attentive.

Je ne veux point ici rappeler le passé,

Ni vous rendre raison de ce que j’ai versé.

Ce que j’ai fait, Gaillard, j’ai cru devoir le faire.

Je ne prends point pour juge un monde téméraire.

Quoique sa médisance ait osé publier,

Un grand prince a pris soin de me justifier.

Sur de petits tréteaux ma fortune établie

M’a fait connaître à Londres, et même en Italie :

Par moi votre clergé goûte un calme profond.

La Seine ne voit plus ce Voltaire fécond,

Ni cet altier Rousseau, par d’éternels ouvrages,

Comme au temps du feu roi, dérober vos hommages.

La Sorbonne me traite et de fille et de sœur :

Enfin de ma raison le pesant oppresseur,

Qui devait m’entourer de sa secte ennemie,

Condorcet, Condorcet tremble à l’Académie.

De toutes parts pressé par un nombreux essaim

De serpents en rabat réchauffés dans mon sein,

Il me laisse à Paris souveraine maîtresse…

Je jouissais en paix du fruit de ma finesse ;

Mais un trouble importun vient depuis quelques jours,

De mes petits projets interrompre le cours.

Un rêve… (me devrais-je inquiéter d’un rêve ?)

Entretient dans mon cœur un chagrin qui me crève.

Je l’évite partout, partout il me poursuit.

C’était dans le repos du travail de la nuit.

L’image de Buffon devant moi s’est montrée,

Comme au Jardin du Roi pompeusement parée ;

Ses erreurs n’avaient point abattu sa fierté :

Même il usait encor de ce style apprêté,

Dont il eut soin de peindre et d’orner son ouvrage,

Pour éviter des ans l’inévitable outrage.

Tremble, ma noble fille et trop digne de moi,

Le parti de Voltaire a prévalu sur toi ;

Je te plains de tomber dans mes mains redoutables,

Ma fille !... En achevant ces mots épouvantables,

L’histoire naturelle a paru se baisser :

Et moi je lui tendais les mains pour la presser.

Mais je n’ai plus trouvé qu’un horrible mélange

De quadrupèdes morts et traînés dans la fange ;

De reptiles, d’oiseaux, et d’insectes affreux,

Que Bexon et Gueneau se disputaient entr’eux.

Numéro
$7735


Auteur
Rivarol



Références

Satiriques des dix-huitième et dix-neuvième siècles, p.200-02


Notes

Rapport non déterminé avec $7736