Épître à Monsieur le comte de ***
Épître à Monsieur le comte de ***
Ami facile aux essais de ma muse,
Qui m’instruisez et que parfois j’amuse,
Sur le propos entre nous agité
Vous allez voir si j’ai bien médité ;
Vous me disiez : « Est-ce orgueil ou paresse ?
Toi, d’Apollon disciple de jeunesse,
N’es-tu pas d’âge à professer ses lois ?
Dans son conseil pourquoi n’as-tu pas voix ?
Conseil suprême où l’on est fort à l'aise.
À jour nommé, dans une bonne chaise,
De prose et vers on règle le tarif,
Du bel esprit privilège exclusif
De par Phoebus à ce bureau s’annexe.
Là, craignent-ils un censeur qui les vexe ?
Non, c’est le ciel, et de tous le plus haut,
Nul n’atteint là, tireurs sont en défaut.
Mais ce haut grade exige apprentissage ?
Non, plusieurs l'ont gratis comme héritage
Qui par autrui peut même être exploité.
Leur devise est : Repos et Dignité.
Là d’un seigneur qu’il croit son camarade
Le rimeur fier reçoit mainte accolade.
Puis avec lui tout droit va banqueter ;
L’honneur est grand ; peut-il trop s’acheter ?
Mais il n’est cher ; quelques tours de souplesse
Te mettent au but ; fais agir la maîtresse,
Le créancier, l’ami de tel ou tel,
Et te voilà, comme eux, l’homme immortel.
Tu t’es couché vrai grimaud, franc ignare,
À ton réveil tu deviens un Pindare. »
Et le public, qu’en dit-il ? pas le mot !
Fort bien, risquons, le hasard donne un lot !
Je dirai donc d’une voix arrogante :
« De bel esprit une charge est vacante,
Le plus sublime y doit être exalté,
C’est moi, Messieurs, sans nulle vanité.
Si je ne dis le tout, quelqu’autre organe
Parle en mon lieu ; jupe, épée et soutane
Réuniront les partis différents,
Et par bruit sourd perdront mes concurrents,
Accuseront leurs mœurs et leur génie,
Et sèmeront pour moi la calomnie !…
Pour moi ? comment ? et pour me décorer,
J’œuvrerai donc pour me déshonorer ?
Jadis à Rome on briguait la questure,
Le consulat, toute magistrature.
Ce peuple maître adjugeait tous les rangs.
Comme il faisait courir les aspirants !
Tous les matins, c’était nouveau cortège,
Et chaque rue était lieu de manège,
D’embrassement, de gracieux sourire,
De compliment, bon masque du mépris,
De serrement de main, de coups de tête,
D’offre de coup de main et de mensonge honnête.
En s’activant sur ce théâtre-là
Crassus fut vu du brave Scévola.
Retire-toi, dit-il, ami trop sage,
Tu m’ôterais l’espoir de ce suffrage,
Je n’oserais être là devant toi.
Or tout mortel est Scévola pour moi.
Amis, rivaux, gens inconnus, mes proches,
De tous côtés j’entendrais ces reproches.
De ces honneurs as-tu donc tant besoin ?
Sur le Parnasse adopte quelque coin,
Là retranché, chante, rime, travaille.
Qui te dira qu’à travers la broussaille
Les curieux ne viendront t’écouter ?
Si tu leur plais, que peux-tu souhaiter ?
Mais supposons que le commun suffrage
Du bel esprit m’offre l’échevinage,
Titre à la cour assez décrédité,
Chez le bourgeois peut-être encore fêté !
M’y voilà donc ? Hélas ! que vais-je faire ?
Prendre et donner de l’ennui. “La volière
De rossignols à moins que de pinçons”
Disait Bussy. “Je bâille à vos leçons”
Lui répondit l’ingénu La Fontaine.
Un autre homme à bénigne veine,
C’est Pavillon, qui, las de leur caquet,
Voulait chez eux placer son perroquet.
Et Malézieu qui par Polichinelle
Leur fit donner aubade solennelle !
Mais de quel air sut-il les fustiger ?
Le beau Persan qu’ils viennent d’agréer !
Chacun est donc un loup pour son confrère ?
Or laissons-les se manger ; notre affaire
Est de donner écrits bien épurés,
Tels qu’en font peu ces Messieurs les jurés ;
Car leur nom mis à la première page,
Coignard l’avoue, appauvrit un ouvrage,
Comme au sermon le titre de docteur
Lu sur l’affiche, écarte l’auditeur.
Bouquet académique, p.44-50