Vers sur la thèse de M. l’abbé de Prades
Vers sur la thèse de M. l’abbé de Prades
Père conscrits qu’on voit depuis deux mois
Se morfondre sur une thèse,
Vous pouvez bien, en observant les lois,
Me condamner tout à votre aise.
Mais l’homme le plus vil, dût-il être pendu,
N’est point jugé qu’il ne soit entendu.
Donc, sans autre préliminaire,
Pour votre honneur et pour le mien,
Écoutez-moi. Si je vous contrarie
Dans mon écrit taxé d’antichrétien,
Je renonce au bonheur d’être votre confrère.
Et d’abord à quoi bon faire tant de fracas
Sur mon latin qu’on dit que n’entendez pas.
Pardon, Messieurs, j’ai cru que les Virgile
Et les Horace si vantés
Seraient chez vous plus respectés
Que les pères et les conciles.
Quant à ceux-ci, pauvres reclus,
Depuis vingt ans au moins vous ne les lisez plus.
Dévorés par les vers et chargés de poussière,
Les Augustin et les Thomas
Qui répandaient au loin l’éclat de leurs lumières
Pourrissent tristement dans vos vieux galetas.
De vos prédécesseurs ils faisaient les délices,
La Sorbonne par eux s’illustra d’un grand nom.
Alors même on donnait emplois et bénéfices
À celui qui savait s’exprimer sur leur ton.
Autre temps, autres mœurs, la Sorbonne moderne
A secoué le joug de leur autorité.
Si par hasard quelqu’un d’eux est cité,
Comme un benêt, on le siffle, on le berne.
C’est un ancien docteur reconnu
Pour un oracle de l’Église.
Ah ! taisez-vous, docteur à barbe grise
Vous êtes ici-bas pour nous trop tôt venu
D’ailleurs, dit-on, sot qui s’y fie :
Depuis la Bulle de Clément
Vous avez tous un vernis d’hérésie
Qui vous dépare horriblement.
Vos disciples en conséquence
Sont traités comme gens maudits.
Que le Ciel soit leur récompense ;
Mais s’ils gagnent le paradis
Ce sera bien par violence.
Parlez raison, Messieurs, qu’en bonne conscience
Qu’aucun de vous, je crois, n’oserait démentir.
Pouvez-vous contre moi sévir
Et m’exclure de la licence ?
Ai-je lieu de me repentir
D’une thèse qui rend mon nom fameux en France
Et qui doit le transmettre aux siècles à venir ?
Qu’ai-je donc fait ? quels sont mes crimes ?
En faveur de la nouveauté
J’ai proscrit, direz-vous, la sainte antiquité ;
J’ai par mes funestes maximes
Introduit parmi nous l’esprit d’impiété.
Il est vrai que j’ai dit de l’âme
Qu’elle n’était au fond qu’une subtile flamme,
Plus agissante que le corps
Dont elle fait jouer à son gré les ressorts
J’ai dit que les rois de la terre
N’avaient acquis sur nous de pouvoir souverain
Que par un droit de force et de guerre,
Droit inique, droit inhumain.
J’ai fait sortir encore de cette source impure
Les lois que dans nos cœurs imprime la nature.
Contre le préjugé dont le monde est épris
J’ai dit qu’un Dieu puissant par sa lumière auguste
N’a point gravé dans nos esprits
Les grandes notions du juste et de l’injuste.
Par les règles du mouvement
J’ai mesuré la suprême puissance.
Un miracle, ai-je dit, n’est qu’un événement
Qui passe des humains la faible intelligence,
Mais dont un pur esprit voit la cause aisément ;
D’où l’on conclut évidemment
Qu’un démon peut aussi faire des miracles,
Dans l’obscur avenir pénétrer sûrement,
Prononcer en un mot d’infaillibles oracles.
J’ai dit enfin… J’ai dit tout ce qu’on voudra ;
Là-dessus n’ayons point de querelle.
Mai sur ce point de droit qui me condamnera ?
Augmentée, ma doctrine est nouvelle.
Donc elle est fausse. Distingo :
Suivant les dogmes jansénistes,
Il faut bien dire concedo
Mais sûrement je dis nego
D’après les nouveaux sorbonistes
Hélas ! que feriez, mes bonnes gens, de Dieu
Si votre sentiment avait lieu ?
Combien un siècle entier parmi nous a fait naître
De dogmes inconnus aux docteurs du vieux temps ?
Combien qui, révérés des siècles précédents,
Ont perdu leur crédit et n’osent plus paraître ?
Aussi vous a-t-on vu proscrire sans respect
Ces pédants hérissés de latin et de grec,
Mais dont l’être, borné génie,
Implacable ennemi de toute invention
Ne saurait en chasser dans leur théologie
Que la Sainte Écriture et la tradition.
Ils ne connaissent point l’esprit de système
Qui fait tenir en main la règle et le compas
Et qui jusqu’au mixte même
Rejette ce qu’il ne comprend pas.
Molina le premier, du sein de l’Hibérie
Le répandit, surtout en France, en Italie.
Je sais qu’il fut d’abord à Rome détesté,
Lemos le combattit devant le Très Saint-Père
Et dûment convaincu d’insigne fausseté,
Son défenseur creva de honte et de colère.
En France, il eut toujours de puissants ennemis,
Port-Royal lui jurant une haine éternelle.
On crut qu’il allait être, ou détruit, ou soumis.
Mais de ses chers enfants l’infatigable zèle
Le garantit du coup mortel.
Relevé de sa chute, il combat avec gloire ;
Rome par un décret auguste, solennel,
Lui défère à jamais l’honneur de la victoire.
On veut à ce décret s’opposer vainement ;
La foudre tombera sur la tête falote
Qui ne croira point que Clément
Dit vrai, même quand il radote ;
Au lieu que, faisant voir votre soumission,
Hommes subtils, intelligents,
Et qui de l’erreur adorée
Abhorrant l’empire odieux
Portèrent leur œil curieux
Jusqu’au haut de l’empyrée.
De là contemplant l’univers
Dans l’amas infini des attributs divers
Ils trouvèrent le Dieu suprême,
Ce Dieu, cet Être universel,
Être puissant, Être éternel,
En un mot la nature même.
Vos maîtres jusque là n sont pas arrivés ;
Ce principe inconnu leur a rendu difforme.
Mais sur ce fondement mes dogmes appuyés
Marchent tous d’un pas sûr et toujours uniforme.
L’autorité dès lors fait place à la raison.
À la bulle pontificale
Vous pourrez sans distinction
Renverser dogme et morale,
Le style roman, tourner les livres saints,
De Berruyer suivant la trace,
Avec tous les enfants d’Ignace,
Combattre le plus grand des spectacles divins,
Remplir comme Pichon d’une indulgence aimable,
Inviter le pécheur sitôt qu’il est absous
À venir prendre part au festin de l’époux
Non par amour pour lui, mais par crainte du Diable
Contre toutes ces nouveautés
Maints docteurs, parmi nous des plus accrédités,
Les adoptent sans vous déplaire
Or pourquoi m’est-il défendu
De m’écarter comme eux de la route vulgaire,
Ce que Corneille et Plaute ont pu ?
Molina, Suarez, Le Moine, Tournely,
Sont vos docteurs et vos apôtres.
Les miens, Locke, Robbé, Newton aussi ;
Et je crois que ces Messieurs-ci
Valent bien autant que les vôtres
Savez-vous que c’étaient de fort honnêtes gens ?
Moïse, Jésus-Christ, l’Église, les conciles
Ne sont que des grands mots qui forment de vains sons.
Ils ne sauraient troubler que des cerveaux débiles.
Quelle gloire pour des docteurs
De renverser ainsi de superbes idoles
Que révéraient dans leurs écoles
D’imbéciles dévôts au lieu des imposteurs !
Ce fut dans cet objet qu’une troupe d’élite
Essaya de bannir l’erreur de votre sein.
Je me sacrifiai pour un si beau dessein.
Avec art, par Yvon, ma thèse fut construite.
Syndic, président et censeurs
En devinrent d’abord de zélés défenseurs
Tant il répondait au goût schismatique
Mais de malins argoteurs
Sur elle ont attiré la colère publique.
Bientôt sujets et potentats,
Hommes, femmes, tous les états
Ont fait un horrible murmure.
Avec clameur, saisi d’effroi,
Vous avez sonné le beffroi
Et gravement sous la ferrure
On dit que vous allez prononcer contre moi.
Il en est toutefois qui montrent du courage
Et me défendent hautement
Legros surtout fait grand tapage
Et dix gros traits pareillement.
Je ne sais pourquoi ni comment
J’ai pu mériter leur suffrage
Lorsque j’en vois certains se tenir à l’écart
Sans présumer que l’anathème
Qu’on m’annonce de toute part
Pourrait bien tomber sur eux-mêmes.
Je ne veux point ici révéler leur secret.
Mais je crois m’être fait entendre
Et je sais que leur intérêt
Va les porter à me défendre.
Avec eux je suis assez fort.
Prononcez donc sans vous contraindre
Et quelque puisse être mon sort
Je n’aurai pas lieu de me plaindre.
Je l’attendrai comme j’attends la mort
Sans la désirer ni sans la craindre.
F.Fr.10479, f°28-32 - F.Fr.15155, p.212-30
On ne sait trop ce que signifie cet ensemble passablement incohérent, et quel parti a les faveurs du supposé abbé de Prades