La Fantinade ou les Petits bateaux
La Fantinade ou les Petits bateaux
Conte
C’est pour vous que j’écris ceci,
Mères, dont l’unique souci
Est de veiller sans cesse à l’honneur de vos filles.
Faites votre profit du conte que voici.
Sont-elles jeunes et gentilles,
Ne les fiez surtout à prêtres ni dévots,
La plus grand part, de l’enfer vrais suppôts,
Pleins de tours et souples comme anguilles,
Doux agneaux au dehors, timides, innocents,
Haussant les yeux aux moindres peccadilles.
N’y donnez pas, ce sont loups ravissants
Qui vont cherchant pâture en leurs besoins pressants
Jusque dans le sein des familles.
Un de ceux-ci, curé, grand directeur1
De mainte cervelle imbécile2 ,
Rusé cafard et courtisan habile,
S’il en fut onc, fourbe, adroit imposteur,
De tel renom qu’aux champs, à la cour, à la ville,
N’était bruit que du saint pasteur.
Des charités du grand monde économe,
Point capital qui trop bien lui plaisait,
Jamais, dit-on, n’en refusait,
En eût volé plutôt, et Dieu sait, le pauvre homme,
Les usages qu’il en faisait !
Celui-ci donc, pour venir à mon conte,
S’occupant du troupeau commis
Entre ses mains, fors qu’il ne tenait compte,
À dire vrai, que des jeunes brebis
Pour les instruire avec plus d’efficace
En tenait une école, ou plutôt un sérail3 .
Là tant faisait fructifier la grâce
Que fort peu sortaient du bercail4
Sans montrer que le Ciel bénissait son travail.
Sa prévoyance aussi plus ne pouvait s’étendre.
Avec soin il les élevait
Et les prenait surtout dans un âge si tendre
Que pucelles il les avait.
Pucelles ! Oui, et puis que l’on me dise
Que tels oiseaux sont si rares pour nous.
Faut-il s’en étonner ? Ces maudits gens d’Église
Font si bien qu’ils les croquent tous.
Voluptueux dans son libertinage,
Il répétait sans cesse aux plus jeunes dont l’âge
Ne pouvait assouvir ses appétits brutaux
D’avoir grand soin de leurs petits bateaux,
Bateau, vraiment, que sans voile et sans rames
Nature n’a construit au gré de nos désirs
Que pour faire voguer nos âmes
Dans une mer océan de plaisirs.
Pour revenir à sa morale,
L’adroit curé, chaque instant, leur prônait
Que leur conscience était sale
Si le petit bateau n’était propre etb ien net,
Et tous les jours lui-même, il les examinait,
Les visitait, touchait et dans ces innocentes,
Quand j’y pense, combien de fois
Ce druide lascif par ses lubriques doigts
Excitant de la chair les amorces puissantes
Mit leur petite âme aux abois !
Or, dites-nous, quand chaque jouvencelle
Présentait à l’envi sa petite nacelle
À ce ministre des papelards
De bonne foi, que faisait-il aux vôtres ?
Vous traitait-il comme les autres ?
Chaste Saint-Fl… in, ô modeste Vil… ars5
Achevons notre conte : une jeune fillette,
De celles que ce bouc sacré
Ainsi façonnait à son gré,
Une petite sœur proprette
Tant lui faisait impression
Les préceptes qu’on lui répète,
N’avait plus en effet d’autre occupation
Que de tenir sa barque nette,
Ne faisait du matin au soir,
Dans l’unique soin qui l’occupe
Que porter sa main sous sa jupe,
Puis à son nez, chose plaisante à voir !
Sa maman ne fut guère à s’en apercevoir,
Vingt fois le jour elle voit la pucelle
Sortir, rentrer, et ce qui la surprend
Un instant après de plus belle
Faire trotter ses doigts qu’elle est toujours flairant.
Pour éclaircir ce point qui lui tient en cervelle,
Elle suit, lui voit prendre de l’eau
Et rincer son petit bateau.
L’enfant pris sur le fait, ne pouvant plus se taire,
Découvre ainsi tout le mystère.
Le prêtre impur est arrêté.
Chacun crie à l’envi qu’on le livre au supplice.
J’y consens, mais du moins, que l’on nous rétablisse
Son école de propreté.
BHVP, MS 670, f°148r-149r
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