Ode
Ode
Loin de moi le démon inique
Au vain mensonge accoutumé ;
D’un feu profane et chimérique
Je ne me sens plus animé ;
La vérité, brillante et claire,
M’inspire, me frappe et m’éclaire.
Peuples, rois, terre, écoutez-moi.
Que le juste se réjouisse,
Que l’impie étonné frémisse,
Je porte l’espoir et l’effroi.
L’esprit de la foi me transfère
Au-delà du temps passager ;
Je vois égaré de sa sphère
Le feu qui vient tout ravager ;
Siècles obscurs, siècles funèbres,
Tout est tombé dans les ténèbres.
Le Ciel est lui-même atteint
Compagnons de nos désastres
Je vois disparaître les astres
Avec le soleil qui s’éteint.
Ô vous, héros imaginaires,
Guerriers qui d’un titre si vain,
Fruit de vos exploits sanguinaires,
Chargez le marbre et l’airain ;
Et vous dont les plumes servantes
Par des routes plus innocentes
Entendez vaincre les temps jaloux,
Que ne me pouvez-vous entendre ?
Les temps ne sont plus, tout est cendre
À quelle gloire aspirez-vous ?
Mais celui qui de la lumière
Que je viens de voir éclipser
Ouvrit et fermera la carrière
Pour lui-même la remplacer,
Dieu paraît. Ô majesté sainte,
Devant toi d’une juste crainte
Tout l’univers est assailli ;
Les mers rentrent dans leurs abîmes,
Les montagnes courbent leurs cimes
Et les rochers ont tressailli.
Que vois-je ? la mort interdite
Ne retient plus rien dans les fers.
Il a dit : que tout ressuscite,
Et les sépulcres sont ouverts,
Spectacle digne de la vue
Des anges assis sur la nue,
D’un côté tout le genre humain,
De l’autre un Dieu doux et terrible,
Tendre père et juge inflexible,
Le glaive et la balance en main.
Des grands la vanité foulée
Voit confondre dans ce grand jour
La dépouille du mausolée
Et la nature du vautour.
Le Très-Haut voit de distance
Qu’entre le crime et l’innocence
Enfin la justice a vaincu.
L’homme de tout rang, de tout âge,
L’âme peinte sur le visage,
Montre à tous comme il a vécu.
Est-ce vous, terrible monarque
Qu’un si grand pouvoir signala ?
Où sont les fastueuses marques
Du haut rang qui vous aveugla ?
Qu’est devenu ce rang suprême
D’un périssable diadème ?
Vos fronts superbes dépouillés,
Jouets d’un courroux légitime,
Ne sont plus couverts que des crimes
Dont vous eûtes les cœurs souillés.
Je vois une âme abandonnée
À tous les plaisirs séducteurs,
J’y vois la licence effrénée,
Ouvrage des adulateurs,
Une avarice insatiable,
Un luxe aux peuples dommageables,
Et dans leur sang prêt à puiser.
Cruel et déplorable reste
De la facilité funeste
Que vous eûtes de tout oser.
Votre sang prit son caractère
Des sentiments de votre cœur :
Pur, il vous fit des cieux sur terre ;
Impur il vous en fit l’horreur.
Du sang d’un roi dont la mémoire
Du Jourdain fit jadis la gloire
Il daigna former l’Éternel,
Et dans les plaines de Syrie
Les chiens burent le sang impur
Du lâche époux de Jézabel.
Quelle est cette foule éperdue
Qui terrasse la piété
Et dont la face confondue
Se veut cacher à la clarté ?
Engeance exécrable et maudite !
C’est l’imposteur, c’est l’hypocrite
Dont le masque tombe à nos yeux.
Notre vue ici dessillée
De son âme enfin dévoilée
Perce les replis odieux.
Là germait la haine traîtresse,
Couvert de modeste accueil,
Là régnait l’oisive mollesse
L’intérêt sordide et l’orgueil.
Dieu juste ! ces cœurs sacrilèges
Ont sous ton nom dressé des pièges
À la simple crédulité.
Venge la majesté suprême
Ils te faisaient servir eux-mêmes
À leur honteuse iniquité.
Pourquoi, malheureux incrédule,
Avant le jour vengeur qui luit
D’un aveugle cœur incrédule
N’avoir pas dissipé la nuit ?
Tu l’as pu, mais par indolence
Contre une commode ignorance
Tu n’as jamais bien combattu ;
Des passions folle victime,
Qui de peur de haïr le crime,
N’osait connaître la vertu.
Volez, démons, Dieu vous appelle.
Sa voix s’est fait entendre à vous,
Traînez la race criminelle
Où l’orgueil vous entraîne tous.
Devant les anges de ténèbres
Qu’annoncent mille cris funèbres
Marchent la rage et la terreur.
L’œil épouvanté les découvre
L’air se noircit ; le gouffre s’ouvre,
Voilà le séjour de l’horreur.
Précipitez donc cet avare
Que la soif de l’or dévora,
Ce grand qu’une fierté barbare
Rendit sourd à qui l’implora,
Le meurtrier de sang avide,
Le cœur ingrat, l’ami perfide,
L’envieux au désir malin,
Le juge fourbe et mercenaire,
Infidèle dépositaire
Des droits sacrés de l’orphelin.
Ô foudre, qui sur nous s’apprête,
Tombe, ne retiens plus tes coups ;
Montagne, écrase nos têtes,
Ô mer, ô terre, engloutis-nous.
Cris affreux de ceux qui surmontent
Les remords, la crainte et la honte
À l’aspect du juge irrité ;
Cris mêlés de chants d’allégresse
De ceux que suivant sa promesse
Dieu comble de félicité.
Abominable Babylone,
Ton sceptre est donc enfin brisé.
Le dieu de Judas sur son trône
Venge le faible méprisé.
Tombe avec l’orgueilleuse troupe
Qu’abreuva la funeste coupe.
Elle a régné, son temps n’est plus,
Tombe et que tes premiers supplices
Soient de contempler les délices
Que Dieu fait goûter aux élus.
BHVP, MS 602, f°75r-76v