Noël pour l'année 1764
Par respect pour cet ordre1
La mère prend l’enfant
Et s’apprête en désordre
A partir dans l’instant
Auprès du bon Joseph d’Hérouville s’avance.
Si vous êtes dans l’embarras
Je vous prête mes bateaux plats
Pour sortir de la France.
Voyant cette affluence
Duvernay s’avanca :
Pour tout ce monde‑là
S’il faut la subsistance,
Bourgade y pourvoira.
Mais s’il plaît quelque jour à notre ministère
De vouloir l’enfant rappeler,
J’offre, pour le faire élever,
L’École militaire.
Courant à perdre haleine,
Bouret vient à la cour
Offrir de Croix‑Fontaine
L’admirable séjour :
Le pavillon du Roi, qu’il nomme ma folie.
Louis n’en ayant pas voulu,
Jésus sera le bienvenu
Avec sa compagnie.
En robe détroussée,
La cour de Parlement
D’une manière aisée
Vient saluer l’enfant.
Venez‑vous, dit Jésus, faire des remontrances ?
Je sais que vous parlez des mieux ;
Mais, tenez, je suis par trop gueux :
Arrangez mes finances.
Avec l’air de mystère,
Le premier président2
Offre d’un ton sincère
Son entier dévouement.
Le poupon dit tout bas :
Qui s’y chauffe, s’y grille ;
Je ne sais s’il dit vérité ;
Mais il a l’air de fausseté :
C’est vice de famille.
A Beaumont du Repaire
Qui soutenait son droit,
Jésus dit sans colère
Le bénissant du doigt
Ci donnons mandement à Beaumont de se taire,
Duc de Saint-Cloud, arrêtez-vous
Voyez cet âne, il est plus doux
Il a cessé de braire.
Monseigneur l’archevêque, enfin il est parti.
Il faut bien peu de tête pour prendre un tel parti
Indisposer Louis et fatiguer le pape
Pour qui ? pour des amis bannis
Qui le bercent du paradis
Et le mènent à la Trappe.
Je suis, sans être vaine,
Dit la prude Marsan,
Princesse de Lorraine,
Et, qui plus est, Rohan.
Je viens pour proposer à Joseph, à Marie,
Une fille de ma maison,
De peur que le divin poupon
Un jour se mésallie.
Le Luxembourg s’avance
D’un air très consterné,
Demande en survivance
Coigny au nouveau‑né :
Je puis sans en rougir faire cette prière.
Jésus lui dit avec bonté :
Qu’importe ici la qualité ?
Tous les hommes sont frères.
On vit aussi paraître
L’évêque d’Orléans.
Jésus lui dit en maître :
Paillard, sors de céans.
Tu n’y rencontreras ni nièce, ni bergère.
Nous pensons ici pieusement,
Nous y vivons très chastement,
Une vierge est ma mère.
De cette remontrance
Le prélat peu contrit,
Sans nulle repentance
Répond à Jésus‑Christ :
Mais c’est pour les pécheurs que vous venez sur terre :
Prenez ce sucre de Poissy3 :
Vite ! que j’emporte d’ici
Indulgence plénière.
Au seul nom de pucelle4
Vint Monsieur d’Orléans,
Qui, pour plaire à la belle,
Brûle beaucoup d’encens.
De Foix5 lui dit : Seigneur, quittons cette chaumine ;
Avec l’argent bénédictin
Je vous promets chaque matin
Une beauté divine.
Il vient une grisette
Avec ce prestolet,
Portant une galette
Et des œufs et du lait,
Disant : De vous, Seignenr, ce présent n’est pas digne,
Mais nous vivons comme au vieux temps,
Nous couchons avec nos parents,
A Paris, comme à Digne.
Certain prélat s’avance,
Et dit en provençal :
Seigneur, ici l’on pense
Que je fais bien du mal :
Je me moque de tous ! j’ai rempli ma besace ;
J’en ai donné, j’en ai vendu,
J’en ai troqué, j’en ai f…
Et je garde ma place.
Sous un habit modeste,
Un inconnu botté
Vient d’un air très funeste,
Un poignard au côté.
Jésus, l’apercevant, s’écrie : Vite ! vite !
Quittons ce lieu, sauvons‑nous tous,
Pour nous garantir de ses coups :
C’est Ricci le jésuite.
Brissac l’incomparable,
Espèce de héros,
En style inimitable
Raconte ses travaux ;
Mais quand il eut vanté ses exploits militaires,
Ses hauts faits, partout inconnus,
Au Roi ses services rendus,
On lui dit de se taire.
Un grand plein de franchise6 ,
Portant croix de Saint‑Louis,
De peur du vent de bise
Se tenait loin de lui.
La foule le cachait : je ne vis point de tête
Mais je vis un bras valeureux,
Une main pour les malheureux
A s’ouvrir toujours prête.
Soubise, dans la presse,
S’approche du berceau,
Et, malgré sa noblesse,
Joseph lui dit tout haut :
Vous êtes maréchal, et vous vous dites prince,
J’en suis charmé pour vos neveux ;
Mais, malgré vos titres pompeux,
Votre Altesse est trop mince.
L’Hôpital vient ensuite7
Pour adorer l’enfant ;
Les Grâces à sa suite
Lui portaient un présent :
Emportez vos bijoux, lui dit la Vierge mère ;
Comme Soubise en fait les frais,
Vous pouvez garder ses bienfaits :
L’offrande est mercenaire.
Wurmezer8 , tout de glace,
Affectant le distrait,
Dit qu’on lui fasse place
Près de Martin baudet.
J’aime, lui dit Jésus, qu’on se rende justice ;
Vous resterez auprès de nous :
Mon baudet apprendra de vous
A faire l’exercice.
Arriva dans l’étable
Un gros homme tout rond9 ,
Montrant un air capable.
Avec son grand cordon.
Joseph, le regardant, dit d’un ton des plus âcres :
Ah ! major de Biron, don, don,
Allez à l’Opéra, là, là,
Faire ranger les fiacres.
Un enfant de Florence,
Le marquis du Terrail,
Tout bouffi d’arrogance
Se présente au bercail.
Comme on vit qu’il tremblait, Jésus lui dit : Bon homme,
Plutôt que de vous marier,
Vous feriez beaucoup mieux d’aller
Vous chauffer à Sodome.
On vit un profil sombre10
Sur le mur de ce lieu,
Qui bientôt comme une ombre
Disparut à nos yeux.
La bouillie à l’enfant cet homme voulait faire ;
Il était expert en ce cas,
En ayant fait pour tous les chats
Pendant son ministère.
En dépit des bourrades,
Un autre s’avançait :
C’était mons de Contades,
Qui beaucoup s’empressait.
Laissez‑moi donc passer, disait‑il, je vous prie :
De par Jésus fait maréchal,
Ne suis-je pas le général
De la Vierge Marie ?
Le chef de l’écurie,
Disposant des courriers
Au gré de son envie,
Arrive des premiers
Place ! c’est Beringhen ! faites place, canaille !
Le bœuf, entendant ce fracas,
Dit à Joseph : Qu’il n’entre pas,
Il mangerait ma paille.
Le marquis de Poyanne11 ,
Le chapeau retapé,
Fit un salut à l’âne,
Car il s’était trompé.
Joseph dévotement, quittant sa patenôtre,
Dit, pour excuser ce seigneur :
C’est la coutume, mon Sauveur,
Qu’un âne gratte l’autre.
Sur les pas de Vandière
Arrive Gabriel12
Et son fameux confrère,
Cordon de Saint‑Michel ;
Il faut, dit le marquis, que vous veniez, ma bonne,
Pour voir la salle d’Opéra. —
Vous vous moquez, on m’y verra. —
Non, l’on n’y voit personne.
Escorté de sa fille,
Duras13 dit en entrant :
Faisons une quadrille,
Pour amuser l’enfant ;
Aux plaisirs de la cour je borne mon service.
De bals Paris est ennuyé14 ;
Mais des miens je suis bien payé
Par un bon bénéfice.
D’un ton d’impertinence,
D’un orgueil menaçant,
De Sartine15 s’avance :
Où donc est cet enfant ?
Qui pourrait devant moi connaître cette affaire ?
La police est en mon pouvoir ;
Il est ainsi de mon devoir
De visiter la mère.
Méditant un cantique,
Arrive Pompignan,
Qui, d’un ton emphatique,
Fait un long compliment.
Son éloquence endort et le fils et sa mère. —
Joseph réveille cet enfant :
Je viens pour lui montrer comment
Il faut prier son père16 .
Vint un certain Dufrêne,
Homme de loi, dit-on,
Dont l’air faux, la dégaine,
Annonçaient un fripon.
N’approchez pas l’enfant, dit Jospeh en colère,
Il connaît trop tous vos talents
Pour tromper et mal faire.
Conduit par la cabale,
Beaumont vient présenter
Sa lettre pastorale
Si l’on veut l’écouter :
Jésus, c’est en faveur de votre compagnie,
Dont on vous prive injustement,
Que je soutiendrai fermement
Aux dépens de ma vie.
Joseph dit, sans l’entendre :
Vous êtes entêté
De prétendre défendre
Cette société.
J’ai lu de Berruyer une histoire profane,
Et j’ai vu les assertions ;
Et j’aime mieux pour compagnons
Notre bœuf et notre âne.
Les dévotes en larmes
Vinrent dire à Jésus.
Si l’on ne prend les armes
Nos frères ne sont plus.
Le remède est violent, mais il est nécessaire,
Sans eux plus de religion
C’est par pure dévotion
Que nous voulons la guerre.
La modeste Gérinthe
Offrait un pot au lait
A notre vierge sainte
Et au bon saint Joseph.
L’âne qui reluquait sa robuste encolure
Lui dit : je vous ferais ici
Ce que l’on vous fait à Paris.
Prenez-moi pour monture.
D’un ton de Jérémie
Beaumont dit à Jésus :
Vois de ta compagnie
Les regards confondus.
Ils sont vilipendés, que faut-il qu’ils deviennent ?
Pour avertir la nation
Nous avons fait l’instruction.
Mais va-t-en voir s’ils viennent.
La religion tombe,
Ton Église est sans vie,
Le théâtre succombe,
Le clergé rassemblé ne vaut pas un Bridaine.
Tout penche pour le Parlement
Et l’on traite mes mandements
D’onguent miton, mitaine.
Seigneur, que faut-il faire
En cette extrémité ?
Jésus lui dit : Vous taire.
Vous avez tout gâté,
Vous faite en mon nom sottise sur sottise
Soyez donc humble priant [?]
Comme moi soyez patient.
Le monde est mon Église.
Et vous, enfants d’Ignace,
Profitez de l’avis ;
Soyez dans la disgrâce
Tranquilles et soumis.
Vantez moins votre foi, j’aime qu’on s’humilie.
A tous faiseurs d’instruction
J’aime qu’on s’humilie.
[Dernier vers rayé d’une autre main qui remplace par : Bonsoir la compagnie]
Je pars en diligence,
La rougeur sur le front,
De voir toute la France
Menée par le Poisson ;
Car son air insolent ne respecte personne,
Broglio pour elle est exilé,
Dieu même a reçu son congé,
Rien de cela n’étonne.
Dumesnil de Grenoble17
Arrive avec hauteur ;
Quoiqu’il ne soit pas noble,
Il fait le grand seigneur.
La Vierge le regarde
Et Joseph dit tout bas :
Dites‑lui qu’il nous carde
Un petit matelas18 .
Fitz‑James19 vient ensuite,
Et dit : De par le Roi,
Que l’enfant et sa suite
Restent chacun chez soi.
Si c’est une sottise,
Le Roi s’en chargera,
Et pour qu’on l’autorise,
Mon corps s’assemblera.
Un jour sur un canapé20
La souveraine Flore
Au monarque inoccupé
Disait : Toi que j’adore,
Où est-il le cardinal abbé21
Le verrons-nous encore ?
Le voici venir l’abbé
Au lever de l’aurore
Et puis il s’en est allé.
La raison, je l’ignore.
Où est-il, le cardinal abbé*
Le verrons-nous encore ?
Il a reparu 24 heures [sic]
Plus étourdi qu’un éclair,
Plus guinguet qu’n pot-en-l’air,
Plus méchant qu’un Lucifer,
Revenant d’enfer, revenant d’enfer
On ne le prend point sans vert22
A ce que dit un frater.
- 1Les vingt premiers couplets sont identiques dans $1212 et n’ont pas été reproduits. Les couplets en italique ne se trouvent que dans $7079. En revanche tous les autres sont semblables dans $1212 et $7079, mais se succédent dans des ordres tout différents.
- 2Le vice chancelier Maupeou.
- 3- Il a fait une nièce abbesse de Poissy, et passe pour coucher avec une autre à laquelle a trait le couplet suivant. (M.)
- 4Variante $1212 : C’était pour la pucelle / Que Monsieur d’Orléans / Se sentait plein de zèle / Pour offrir son encens / De Foix…
- 5L’abbé de Foix, m… de l’évêque d’Orléans. (M.)
- 6M. de Soubise (M.) - 17 janvier. On continue à chansonner différents grands : voici un supplément aux couplets, en faveur de MM. de Soubise, Contades et Silhouette, sur le même air que les premiers Noëls. (Mémoires secrets)
- 7Maîtresse du prince de Soubise. (M.)
- 8- Officier qui a eu beaucoup de part au nouvel exercice. (M.)
- 9M. de Cornillon, major des gardes françaises. (M.)
- 10D’une mine assez sombre / Silhouette en ce lieu, / Apparut / omme une ombre / Et disparut dans peu. (Mémoires secrets)
- 11Colonel des carabiniers, inspecteur de cavalerie. (M.)
- 12Célèbre architecte. (M.)
- 13- Un des premiers gentilshommes de la chambre du Roi (M.)
- 14Variante : $1212 : …Ennuyé / Mais ils me valent par année / Quelques bons bénéfices
- 15Lieutenant général de police. (M.)
- 16Il était l’auteur de la Prière du Déiste. (M.)
- 17$7079 invite à chanter ce couplet sur l’air : Or nous dites, Marie.
- 18Lieutenant général, fils d’un matelassier. (M.)
- 19*Duc et pair, commandant à Toulouse, et décrété par le parlement de cette ville. (M.)
- 20Air : où s’en vont ces gais bergers ? (M.)
- 21L’abbé de Bernis, exilé à son abbaye. (M.)
- 22Ce duc avait la chaude-pisse. (M.)
BHVP, MS 699, f°1-14
$1212 et $7079 sont identiques pour les trois-quarts de leurs couplets, mais se présentent dans des ordres très différents sauf pour les vingt premiers.