Histoire des régiments de Limousin, Bourgogne, Médoc Bloqués dans Egra le 17 avril 1743
Histoire des régiments
de Limousin, Bourgogne, Médoc
Bloqués dans Egra le 17 avril 1743
Par l’Eveillé, grenadier du Régiment de Limousin
Sitôt que nous fûmes arrivés
Nous fûmes tous bien étonnés
D’y voir le pauvre d’Hérouville1
Qui commandait dans cette ville
Et qui passait soir et matin
A boire entre ses deux putains.
Il nous dit d’un ton fort brutal :
C’est moi qui suis le général.
Ces filles sont pour ma personne.
Aussi, Messieurs, je vous ordonne
De venir rarement ici
Porter votre ton radouci.
Nous lui demandâmes d’abord
D’aller nous promener dehors
Pour nous pourvoir de quelques vivres.
Non pas, dit-il, à moitié ivre,
Je suis bloqué de toutes parts
Par plus de quatre cents housards.
Attendez pourtant un moment ;
Faisons un beau détachement,
Car aussi bien mon bois me quitte
Pour faire bouillir ma marmite.
Je juge qu’il est à propos
De n’aller faire des fagots.
Après cette expédition
Nous fîmes encor une action
Qui valait bien une bataille
Nous fûmes chercher de la paille
Dont les Autrichiens par pitié
Nous avaient laissé la moitié.
C’était la fin du mois de mai
Quand l’ennemi vint sans délai
Se camper autour de la ville.
Leurs peines étaient fort inutiles,
Ils auraient fait tout aussi bien
De ne s’incommoder de rien.
Nous lui demandâmes en ce temps
D’aller un peu les voir au camp.
Oh non, dit-il, je n’ai garde,
L’on rit que trop quand on hasarde,
Et puis le Roi m’a défendu
De battre, peur d’être battu.
Allez pourtant au chemin creux
Faire un coup de fusil ou deux.
Aussi bien faut-il que l’on mette
Ma défense dans la Gazette.
Mais si l’on y tire trop fort
Je veux que l’on rentre d’abord.
Mais cependant en badinant,
La viande et le pain manquant
Il vit qu’en cette conjoncture
Il fallait songer à conclure
Il fit donc partir aussitôt
Le bon Prevelly de Pandro2
Sitôt que Kollovrat le vit
L’envie de rire lui prit.
Palsambleu, l’ambassade est belle.
Voilà, dit-il, Polichinelle.
Il faut par curiosité
L’envoyer à Sa Majesté.
Eh bien ! mon petit perroquet,
Vos Français ont bien du caquet.
De ma part, allez-vous leur dire
Que je permets qu’on se retire
Pendant un an restez en paix
Et me laissez tous vos mousquets.
Notre ambassadeur arrivé
Cria : Vivat, tout est sauvé.
Qu’on se prépare à la retraite,
Quittons notre sotte escopette
Qui ne fait que de l’embarras
Sitôt que l’on ne s’en sert pas.
Là-dessus d’un ton sans pareil
D’Hérouville dit au conseil :
Messieurs, vous n’êtes que des bêtes.
Je ne veux faire qu’à ma tête ;
Mais comme j’aime le devis,
Dites-moi chacun votre avis.
Par malheur quelques beaux esprits
Dirent qu’on serait fort surpris
De nous voir revenir en France
En si piteuse contenance,
Et les malheureux orateurs
Subornèrent le gouverneur.
Allons, dit-il, courage, enfants,
Faisons ici les quatre temps.
Mangez vos chevaux, je vous prie,
Mais respectez mon écurie.
Les vôtres, on vous les paiera bien,
Car il ne m’en coûtera rien.
Quant à l’égard des bœufs du Roi,
Je les prends pour ma table, moi.
Il faut que chacun se retranche,
Si je me réduis à l’éclanche,
Moi qui suis votre général
Rabattez-vous sur le cheval.
Quand de faim l’on fut enragé,
Le pain et le cheval mangé,
N’ayant plus rien que de la poudre
Il a bien fallu se résoudre
A la fin à capituler
Et nous rendre tous prisonniers.
Ce fut un beau jour, à midi,
Qu’on se rendit à l’ennemi.
Il ne manquait rien à la fête
Que le général à la tête,
Mais le bougre, jouant au plus fin,
S’était rendu dès le matin.
HVP, MS 554, f°390v-392r