Sans titre
Ami, que je te raconte1
La nouveautié de Paris ;
Ce n’est, ma foi, pas un conte.
Ah ! qu’on s’est bien réjoui
Au sujet du mariage
De l’aînée fille du roi.
Al’ est encor en bas âge,
M’est avis que je la vois.
Notre Sire et notre Reine
Etions nichés devant l’iau
Dans une loge très pleine.
Ils voyaient d’la comme il faut
C’était chamarré en rouge,
En or, velours et festons
Et mes yeux sans que je bouge
Y restèrent en pamoison.
Sur les bords de la rivière
A bian ronflé le canon
Me semblait être à la guerre
Tant on faisait carillon
En dit que par révérence
Notre Sire l’an a salué
La Reine et enfants de France
Car on doit tout révérer.
M’approchant près de la Seine
J’ai bien vu des feux tirés.
Le Roi, notre bonne Reine,
Cet enfant vont marier
Au fils du Roi d’Espagne.
Tatigué c’est pour cela
Avant qu’al aille en campagne
Qu’on a fait ces beaux feux-là.
C’a étoit bien magnifique
De voir la Seine brûlée
Et ne sais par quelle manique
On fait taire ces ouvriers.
Ils ont mis sur la rivière
Des démons jetant du feu.
Je croyais être en enfer,
Je ne tremblais pas pour peu.
Ils partirent d’une montagne
Peinturée en vair et or
C’est qu’en dit que dans l’Espagne
Des montagnes il en vient l’or.
Que je t’achève l’histoire,
Il en sortait tant de feux
En serpent sur la rivière
Que t’aurais crié au feu.
J’y ons vu une bataille
Dedans de petits bachots
En a fait d’estoc et de taille
Se culbutoient dans les iaux
Ils me donnions des alarmes
Tant ils allions hardiment
Notre Roi riait aux larmes,
La Reine et ses chers enfants.
Il y avait dans des chaloupes
Des hommes habillés tout blanc
De l’aviron à la poupe,
Couronnés de feux brillants.
Quelle joie dans cette ville,
Tout étoit enluminé
Jusqu’au haut des cheminées.
Ce qui m’a fait bian plus rire
Une dame en grand panier,
En a bian ri notre Sire
De la voir caprioler,
Et ensuite sa sevante,
Toutes deux le cul dans l’iau,
Car ils vouloient les deux gentes
Avoir place dans un battiau.
A l’instant vont à la nage
Grimpant dedans le bachot,
Qui les a jetées, je gage,
Etoit un fort matelot.
À leur tour les deux friponnes
L’ont culbuté du bachot
La Reine, bonne personne,
En crevoit dans sa pagniau.
Si t’avions vu la musique
Dans un grand battiau tout rond
T’aurois chanté, par ma figue,
Et porté ton violon
Car ils avions des trompettes,
Des fifres, aussi des tambours,
Des hautbois et des musettes,
J’crus que j’en deviendrois sourd.
Monsieux l’ambassadeur d’Espagne
À fait un bal pour ceci
J’ai vu par une lucarne
Sans qu’en dise garre d’ici ;
Ça était plein de lumières ;
Ils étoiant si richement
Qu’à force de voir si clair
J’ons cru être au firmament.
As-tu vu comme Henri Quatre
À cheval sur le Pont-Neuf,
On a fait, on doit l’abattre,
Un biau grand château tout neuf
D’où ils iriont l’artifice
Qu’aillait dedans le ciel
Ah ! que l’homme a c’t malice
D’aller brûler les étoiles.
Le prévôt de cette ville
Se distingue, ma foi bien,
A donné bal à cet’fille
Le Roi et la Reine y vient
Si j’étions un peu plus riche
Que je nous divertirions ;
Malgré nous faut être chiche
Puisque je ne le pouvions.
En dit que cette princesse
Au moment qu’al’partira
Que son cœur plein de tendresse
Regrettera son papa,
Sa maman, ses sœurs, son frère,
Que de pleurs on versera.
Les plaisirs de la rivière
Et des bals, tout finira.
Quand al’verra son biau père
Et philippes son époux
Son cœur n’aura plus d’amère,
Son sort sera des plus doux.
Il faut bien qu’al s’console
De quitter son cher papa ;
L’amour par et de son vol
Porte la nouvelle là.
Je pars, trop aimable France,
Enfin je vous dis adieu ;
Vous m’avez en abondance
Donné fêtes en ce lieu ;
Le dieu de l’hymen l’ordonne,
L’amour voyage avec nous.
Une si jeune personne
Doit vous obéir en tout.
- 1Chanson paysanne sur les réjouissances de Paris au sujet du mariage de Madame Première, fille aînée de de France.
F.Fr.15149, p.369-80 - BHVP, MS 549, f°47v-49v