Sur Mlle Testard qui disait être tourmentée
Or écoutez, petits et grands,
Un cas étrange et surprenant1
Arrivé dedans cette ville
A l’endroit d’une jeune fille
Qu’un lutin est venu saisir
Pour en faire à son bon plaisir.
Les savants et les médecins
Y ont perdu tout leur latin,
Car c’est un esprit qui frétille,
Il est souple comme une anguille
Et se glisse en catimini
Sous sa jupe et sous son habit.
Dans le fauteuil et dans le lit
C’est là souvent qu’il fait du bruit,
Mais comme un esprit qui badine
Il ne frappe qu’à la sourdine
Et ne lui cause aucun ennui
Que de gratter entre son huis.
Les uns disent que c’est un sort,
Qu’un amant qui l’aima très fort
Lui a donné par jalousie,
Pour afin qu’on ne la marie
A quelqu’autre plus vieux époux
Qui ne serait pas de son goût.
D’autres veulent que ce lutin
Ne soit pas un vrai diablotin,
Mais un certain petit caprice
Causé par un peu de malice
Qu’un gros de matrimonium
Saura bien mettre à la raison.
Vous, pères et mères, honnêtes gens,
Dont les filles passent vingt ans,
Mettez-les bien vite en ménage,
Car si vous tardez davantage
Le lutin sans faute viendra
Qui très fort les lutinera.
Or prions tous le Rédempteur
Et son esprit consolateur ;
Qu’il console les pauvres filles
Qui sont encor d’âge nubile
Et qui souffrent un grand tourment
En attendant le sacrement.
- 1Sur Mlle Testard qui disait être tourmentée par un esprit invisible sitôt qu’elle voulait dormir.
Clairambault, F.Fr.12695, p.337 - Maurepas, F.Fr.12627, p.259-61