Pasquinade
Pasquinade.
Pasquin
Hola, hola, Marphorio.
Marphorio
Bonjour, mon cher Pasquin, qu’y a-t-il donc de nouveau
Qui diable si matin te croyait à ma porte ?
Pasquin
Des nouvelles que j’apporte
Je viens de te faire part et te dire comment
Louis après sa mort parvint au firmament.
Marphorio
Dépêche-toi, Pasquin, car pour le grand monarque
Mon âme s’intéresse ; apprends-moi si la Parque
Du séjour glorieux a couronné son sort.
Pasquin
Ce ne fut pas sans peine ; elle hésita d’abord.
Marphorio
Que dis-tu ? donc Louis a passé l’onde noire.
Pasquin
En peu de mots écoute son histoire.
Lorsque Louis Mourut, son âme vers les cieux
Incertaine volait quand s’offrit à ses yeux
Son grand-oncle Louis1 qui vint à sa rencontre.
Pour lui faire plaisir, il l’embrasse et lui montre
Le droit chemin de paradis.
Suivez par cette voie, et vous irez, mon fils,
Frapper à la porte où saint Pierre
Pour vous ouvrira la barrière.
Mais vers les trois quarts du chemin
Le Roi par un mauvais destin
Trouve cet homme de Montmartre2
Ha, bonjour, grand Louis,
Que faites-vous en ce pays ?
Je vole, dit Louis, à la Béatitude,
Des désirs des humains la vaste plénitude.
– Mais quel sentier tenez-vous là ?
Jamais vous ne pourrez y parvenir par là,
Répond cet aéropagiste
De votre vrai chemin, tenez, voilà la liste3
Qui nous a donc tant harassé ?
Votre guide4 est un insensé
Qui vous dicte une fausse route.
La mienne sera bien plus courte.
Pratiquez mes avis et fiez-vous à moi
Devrais-je vous céder ma place,
Aux Cieux vous serez mis de pair avec Ignace.
Louis tout joyeux s’en allait
Quand une femme5 s’avança,
Et sitôt ainsi lui parla :
Je suis simple par ma naissance
– En lui faisant sa révérence
Cependant mes premiers parents…
Mais il la coupe à l’instant :
Vous me paraissez fort savante.
Je suis bien votre servante
Reprit la bergère aux yeux doux.
Mais mon petit savoir me vient de mon époux6 .
Hé bien, reprit Louis, hé bien il ne m’importe.
Allons de compagnie où le Destin nous porte
Servez-moi de guide en ces lieux,
Ensemble l’on chemine mieu7 x.
Nous deux gens de concert vont à perte d’haleine
Sans tenir de route certaine,
Errant comme des fous à travers tous chemins
Ils foulent sous leurs pieds lauriers et romarins
Mais voyant du soleil précipiter la course
Les vignes, les grains et les fruits
Par eux sur-le-champ sont détruits8
Et qui s’oppose à leur passage
Sent bientôt l’effet de leur rage.
Les arbres les plus vieux de toute antiquité
Sont renversé sur le côté.
Il n’est plus foi, loi ni mesure.
Bien qu’on gémisse et qu’on murmure,
Ils sont insensibles aux lois
Et croyant que tout est permis aux rois.
Tous ceux qui de leurs biens pleurent sur les débris
Comme d’un crime en sont grièvement punis
La justice effrayée [Parlement] abandonne la terre
Elle n’a plus pour droit que celui de se taire
L’on n’entend que la voix des chouettes, des hiboux9
Qui de foudres nouveaux nous annoncent les coups
Mais ce qui n’eut jamais d’exemple
Et qui pourtant était bien résolu
C’est qu’ils auraient voulu
Ravir les richesses des temples.
Enfin chacun était perdu
Quand un ange10 est intervenu
Dont l’âme juste et bonne au vif fut pénétrée
Contre cette conduite outrée.
De son cœur pacifique amateur du repos
Il ne put s’empêcher de lui dire ces mots :
Grand monarque, par quelle destinée
Votre âme risque-t-elle de se voir condamnée ?
De ne pouvoir ici du vrai bonheur
Ne profiter que de la lueur ?
Pourquoi du droit chemin s’est-elle détournée ?
– C’est qu’on m’a ait changer d’avis,
Répondit fièrement Louis
Sans examen j’ai cru devoir à leur prudence,
Mon estime et ma confiance.
L’une est grande par ses vertus,
L’autre de mon royaume a purgé les abus.
Pauvre Louis quatorze, allez, c’est être bête,
Dit le sage guide en courroux,
Que de suivre au mépris de vous
Les avis d’une femme et d’un homme sans tête.
Marphorio
D’un autre que Pasquin j’aurais tenu pour fable
Les aventures de ce Louis.
Pasquin
La chose par malheur n’est que trop véritable.
Adieu, par mon retour tu seras mieux instruit.
- 1saint Louis.
- 2Le Père Le Tellier.
- 3a Constitution de Clément XI.
- 4M. le cardinal de Nouilles.
- 5Mme de Maintenon.
- 6Scarron, habile poète.
- 7Mariage secret de Louis XIV et de Mme de Maintenon.
- 8Soldats qui ont ravagé le pays.
- 9Contrôleurs généraux, traitants, temporel des évêques.
- 10M. le duc d’Orléans, devenu régent.
BHVP, MS 551, p.253-56
L'extraordinaire maladresse de l'intrigue et de la versification laisserait croire à l'oeuvre d'un débutant malhabile.