Sans titre
Histoire de Lhomme et consorts
Apprenez comme à tout âge
On fait des faux pas,
Que le rang d’échevinage
N’en exempte pas.
Cette histoire est remarquable
Et en vérité
On n’en voit point de semblable
Dans l’antiquité1 .
Gens d’un certain train,
Un menton4 à barbe grise,
Jadis échevin,
Un notaire5 garde-note
Et d’autres quidams
Sont du fait que je rapporte
Auteurs et garants.
Car la semaine dernière6
Si mon compte est bon,
Qu’ils étaient tous à Carrière
Près de Charenton.
En amusement honnête
Se passa le jour,
Mais la fin de cette fête
Prit un autre tour.
Au souper le vin fit rage
Dans tous les cerveaux,
Chacun se fit une image
De plaisirs nouveaux,
Et comme on ne voulait suivre
Qu’un goût emporté,
Ce fut l’avis du plus ivre
Qui fut adopté.
Il est dans le voisinage
Un jeune tendron7 .
Allons faire du tapage
Chez elle, dit-on.
Le vieil échevin pour cause
Loin d’être en suspens
Gaillardement se dispose
À ce guet-apens.
Or on saura que la fille
Dont il est question,
Plus alerte qu’une anguille
Dans le rigaudon
Sur la scène italienne
Dansa quelque temps
Et comme comédienne
Se fit des amants.
Ce fut dans l’exercice
D’un certain ballet
Qu’un gros Monsieur de justice8
Fut pris au filet.
Elle reçut son hommage
Et ses écus neufs
Pour ne danser davantage
Que le pas de deux.
Voilà que l’un de la clique9
Des susdits buveurs
Une lettre vous fabrique
En termes moqueurs,
Puis un valet on appelle
Disant : Mon ami,
Va-t’en porter à la belle
Cette lettre-ci.
Il revient de son voyage
Plus vite qu’un dard,
Disant que pour ce message
Il était trop tard.
À ces mots chacun se lève
Fumant de courroux,
Jurant, la peste nous crève
S’il est trop tard pour nous.
Aussitôt vers la donzelle
Ils tournent leurs pas,
Voyant la porte rebelle,
Ils la jettent bas.
Jardinier, chien et servante
Tout est dans l’effroi
Et dans leur juste épouvante
N’osent dire : Quoi ?
Dès qu’au lit de la maîtresse
Arrivés ils sont,
Ils lui claquent la fesse,
Autre chose font.
Il n’est du tout nécessaire
De le détailler.
Un chacun dans cette affaire
Sait bien travailler.
Elle, plus morte que vive,
Crie à son secours.
Alors la troupe s’esquive
Et prend les détours.
Le bedeau court en chemise
Sonner le tocsin
Et tout le village en crise
Se croit à sa fin.
Le juge10 au lieu de la scène
Vient dans le moment
Criant à perte d’haleine :
Comment donc ? Comment ?
Rapportons l’état des pièces
Au procès-verbal.
Madame, n’est-ce qu’aux fesses
Qu’on vous a fait mal ?
Hé, quoi donc, voulez-vous rire
De mon triste état ?
J’ai, dit-elle, quelque emprise
Sur un magistrat*11
Chez son amant, tout de suite,
Elle arrive en pleurs
Et lui conte la visite
De tous ces buveurs.
Cet amant, comme l’on pense
Est au désespoir
Et sollicite vengeance
De tout son pouvoir.
Il portera sa colère
Jusques au marquis.
Or voyez dans quelle affaire
Ils se sont tous mis.
C’est à vous que je m’adresse,
Jeunes étourdis !
Qui de claquer une fesse
Êtes tous épris.
Les culs amusent sans doute
Beaucoup à fesser.
Mais quand si cher il en coûte,
Mieux vaut les laisser12 .
J’étais un bon marchand jadis13
Et même échevin de Paris
Pour faire preuve de jeunesse
Je suis dégradé de noblesse.
Que ne suis-je resté marchand !
Et voilà comme l’homme
N’est jamais content.
- 1Sur M. Lhomme, ancien échevin et consorts à l'occasion de Mlle Mazarelli.
- 2Le fils de M. le marquis de Breteuil, ministre de la Guerre.
- 3Mme la marquise de Breteuil, sa mère.
- 4M. Lhomme, ancien échevin de Paris.
- 5Me Marrel, notaire.
- 6Le 7 septembre 1750, la nuit du lundi au mardi.
- 7Mlle Mazarelli, fille du cafetier de la Comédie-Italienne, âgée de dix-neuf ans.
- 8M. Tubeuf, conseiller de Grand-Chambre.
- 9Le fils aîné de M. Lhomme.
- 10Le bailli de Charenton.
- 11M. l’abbé de Vougny, chanoine de Notre-Dame, et conseiller de Grand-Chambre.
- 12Vaut mieux les baiser (F.Fr.10478)
- 13Ce couplet n'apparaît que dans F.Fr.15154.
Clairambault, F.Fr.12720, p.137-43 - F.Fr.10478, f°481-83 -F.Fr.15154, p.85-96 - BHVP, MS 661, f°57r-60v - Mazarine Castries 3989, p.374-80
Sur ce fait-divers, voir $6779, 6781, 6782