Sans titre
Venez ici, mes bons amis,
Accourez tous, grands et petits,
Venez apprendre la manière
Dont la femme d’un président
Prit Monsieur Saint Paul pour Saint Pierre,
Et je vais vous conter comment.
Notre Roi, Louis de Bourbon,
Dit le quinzième de ce nom,
Qui pour son plaisir s’encanaille,
Dit certain jour du carnaval,
Soupant en public à Versailles
Qu’à Paris il irait au bal.
Il accordait cette faveur
De l’Espagne à l’ambassadeur.
Tout aussitôt cette nouvelle
Bien vite fut sue à Paris
Et l’on vit plus d’une pucelle
Rassembler les jeux et les ris.
Enfin c’était à qui plairait
À qui mieux mieux de l’attirer,
Depuis la petite bourgeoise
Jusqu’à la dame d’un haut rang,
Peut-être même la grivoise,
S’ajustèrent, Dieu sait comment.
Quand ce vint l’heure du départ,
Ayant quelqu’affaire autre part,
Le Roi dit à sa compagnie :
Enfants, je suis au désespoir,
Vous autres faites la partie.
Je ne puis m’éloigner ce soir.
Gaujac, on te prendra pour moi
Et chacun te croira le Roi.
Nous sommes de même stature,
À peu près les mêmes cheveux.
Prends mon ordinaire voiture
Et tâche de te rendre heureux.
Sans que le Roi lui répéta,
Gaujarc en carrosse monta,
De Louis affuble le casque
Afin de lui ressembler mieux.
Le Roi lui donne aussi son masque.
Le voilà parti bien joyeux.
De bons compagnons cinq ou six
Accompagnèrent le faux Louis.
On fait grand bruit à l’abordage ;
On fait place à Sa Majesté ;
C’est à qui plaira davantage
Et qui sera mieux écouté.
Le faux roi s’adresse en entrant
À la femme d’un président
Qui, loin de faire la cruelle,
Grand Roi, dit-elle, écartons-nous ;
Cachons-nous dans cette ruelle
Pour ne point faire de jaloux.
Cette grande facilité
Troubla la fausse Majesté.
Il eut peur de quelqu’aventure
Que Petit sait si bien guérir
Et malgré la bonne posture
Il ne put jamais réussir.
On dit, et je n’en doute pas,
Que Gaujac prit cinq ou six rats ;
La belle eut beau le mettre à même,
Le ravigoter de ses doigts,
Le pauvre diable resta blême
Et ne put le faire une fois.
Non, se disait-elle à part soi,
Non certes ce n’est pas le roi.
Ne pouvant contenter sa rage
Elle ôte le masque soudain,
Et reconnaît à son visage
Que ce n’était le souverain.
Lors, de fureur et de dépit,
Notre Présidente s’enfuit.
Le faux roi raconte l’histoire
Qui fit dans la ville grand bruit.
Pour en conserver la mémoire
Je viens d’en faire le récit.
Le Roi lui dit : cette action
Ternit ma réputation.
Je plains la pauvre présidente
D’être tombée en telle mains
Et j’ai l’âme bien repentante
D’être cause de ses chagrins.
Je jure par mon coutelas
Que je n’y retournerai pas.
Je m’acquitterai mieux moi-même
De ce qui se présentera.
Soyez sûr, beau sexe que j’aime
Que par moi tout réussira.
Dames de Paris, de la Cour
Sitôt qu’il s’agira d’amour,
Ne consentez point à l’affaire
Que vous n’ayez bien vu de jour
Celui qui voudra vous le faire,
Ou bien craignez un pareil tour.
La pauvre présidente hélas
Pour avoir trop pris son soulas
Depuis cette fâcheuse affaire
Pour être trop bonne en effet
Est réduite à vivre au Calvaire
Par une lettre de cachet.
Mazarine Castries 3989, p.6718
Sur la président Portail, à qui cette aventure arriva ce carnaval et que son mari a fait mettre au Calvaire pour sa vie débordée.