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Remerciement D’un Capucin de Meudon à l’auteur de Mélanie

Remerciement

D’un Capucin de Meudon

à l’auteur de Mélanie

Souffrez qu'un Capucin novice,

Qui tranquillement dans ce lieu

Chantant du nez le Saint-Office,

Devait bientôt offrir à Dieu

De ses beaux jours le sacrifice,

Vous adresse un remerciement.

Oui, j'ai lu votre Mélanie :

Éclairé par votre génie,

Je romps ma chaîne en ce moment.

Si, dans Paris, les jeunes filles

Peuvent jamais lire vos vers,

On les verra forcer les grilles,

Et nos cloîtres seront déserts.

Que votre éloquence a de charmes !

Que votre style est séduisant !

Qu'il est concis, et que de larmes

Je sens couler en vous lisant !

Combien j'admire la tendresse

Et le courroux de votre Amant !

Que j'aime votre dénouement,

Et que Mélanie intéresse !

Que votre curé parle bien,

Et surtout qu'il est nécessaire !

Mais à côté de votre mère,

Non, Cîytemnestre n'est plus rien.

Malgré les faiseurs d'épigramme,

Dont vous bravez l'inimitié,

Je vous réponds que jamais drame

N'excita si bien la pitié.

Si quelque rimeur subalterne,

Tranchant du censeur délicat,

Ne trouve en vous qu'un style plat,

Qu'un coloris obscur et terne,

Et sur le Parnasse moderne,

Cherche à ternir tout votre éclat,

Que vous importe le vulgaire ?

Les médisants et les jaloux

Auront beau dire, auront beau faire,

Corneille, Racine et Voltaire,

N'ont jamais écrit comme vous.

Lorsque Warwick, à qui tout cède,

Le grand Warwick si bien vanté,

Aux Français fut représenté,

Dans l’ivresse qui nous possède,

Il fut soudain mis à côté

Du fier d'Essex et de Tancrède.

On trouva tout bien inventé.

Il faudrait après tant de gloire,

Après tant d'illustres travaux,

Laissez quelquefois la victoire

Orner le front de vos rivaux.

Combien, surtout, je vous admire

Dans votre Mercure galant,

Quand par les traits de la Satire

Vous encouragez le talent !

Mais, pourquoi d'un bras si sévère,

Accablez-vous l'auteur vulgaire,

Dont la crédule vanité

S’est fait siffler par le parterre,

Ou dont le succès éphémère,

Doit mourir dans l'obscurité ?

N'insultez point à sa misère :

Il faut un peu d'humanité

Pour son semblable et pour son frère.

Numéro
$6651


Année
1769




Références

F.Fr.1365, p.454-56 - Poésies satyriques, p.168-70 -  Satiriques du dix-huitième siècle, p.165-67