Épître du curé de S. Jean de Latran à l’auteur de Mélanie
Épître du curé de S. Jean de Latran
A l’auteur de Mélanie
Permettez qu'un simple Pasteur,
Humble habitant d'un presbytère,
Qui vous admire et vous révère
Comme le digne successeur,
Et de Corneille et de Voltaire,
Lève ses regards éblouis,
Jusqu’à cette vive lumière
Étincelante en vos écrits.
Je n'ai point la pompe mondaine
De tous nos modernes prélats,
Dont l'indolence se promène
Sous la moire et le taffetas,
De ces abbés à falbalas,
De ces financiers à rabats,
Qui dans leur coupable largesse,
De nos dogmes faisant un jeu,
Dépouillent le Temple de Dieu
Pour le Temple de leur Maîtresse.
Tapi dans l'ombre d'un camail,
Je suis un bon diable de prêtre,
Qui conduit son petit bercail,
Et qui se borne à se connaître.
Selon moi la Religion
Est pour le Peuple un frein utile ;
J'espère en la sainte Sion,
Et je crois même à l'Évangile,
Quoique m'oppose ma raison.
Mais comme j'aime le beau style,
Quelquefois sous le capuchon,
Je me délasse avec Virgile
Des fatigues de l'oraison.
J'ai lu votre Drame sublime,
Et je n'ai pas été surpris
Que les femmes, les beaux-esprits,
Qui du Pinde assiègent la cime,
Et qui régentent tout Paris,
Vous aient décerné le prix
Avec un transport unanime.
Mais qu'il est de censeurs iniques,
Aguerris à fronder les gens !
Ces ensorcelés de critiques,
Disent que les vers sont traînants
Et les scènes soporifiques,
Que l'intérêt est divisé,
Que l'action jamais n'avance,
Qu'on dialogue à toute outrance
Sans aller au but proposé ;
Qu'aux jeux de mots on s'abandonne,
Quand la passion doit agir,
Que l'Écrivain toujours raisonne
Au moment qu'il faudrait sentir ;
Qu'en un mot ce chef-d'œuvre ennuie,
Et qu'en dépit des merveilleux,
La Vestale vaut cent fois mieux
Que la bavarde Mélanie.
O crime ! ô race de pervers !
Miséricorde ! quel blasphème !
Moi, je prononce par moi-même
Et non par ces échos divers,
Sur qui je lance l'anathème.
J'ai trouvé beau, le plan, les vers,
Tout, jusqu'aux discours de la fille
Prête à quitter cet univers :
Il faut au moins qu'elle babille ;
C'est le costume de la grille,
Et les mourants sont fort diserts,
Quand ils expirent en famille.
Mais, dans cet ouvrage enchanteur ;
Ce qui me frappe et m'intéresse,
C'est ce Ministre du Seigneur,
Cet Apôtre consolateur,
Qui prend pour défendre l'erreur
Le langage de la Sagesse,
Et de l'amoureuse faiblesse
Est le sensible protecteur.
Je n'y suis plus, je m'extasie,
Lorsque je vois un saint curé,
Qui fait, par le Ciel inspiré,
Les honneurs de la tragédie.
Comme un autre, j'en puis juger.
Quelquefois en petite loge,
Je mets mon salut en danger,
J'entends la Satyre ou l'Éloge,
Je vais ou rire, ou m’affliger ;
Ma paroissienne favorite,
Commet là ses péchés d'élite,
Et m'engage à les partager.
J'ai vu, malgré la canicule,
Mourir de froid Timoléon ;
J'ai vu le Public fans scrupule
Bâiller au nez de Pharamond,
Et par le don de prophétie,
Je m'écriais dès ce jour-là ;
Ce jeune homme prospérera,
C'est le Ciel qui le mortifie ;
Il fera sifflé dans sa vie :
Mais l'avenir le vengera,
Et du Parterre et de l'Envie,
Et dans mille ans il jouira
Des récompenses du génie.
Déjà, dit-on, vos Partisans
Dans les boudoirs criant merveille,
Sur votre autel portent l'encens,
Dont ils sèvrent le bon Corneille.
Ces Aristarques souverains.
Que toujours le goût illumine,
Qui tiennent l'urne des destins,
Ont comparé vos vers divins,
Aux vers sonores de Racine ;
Sa lyre a passé dans vos mains.
C'est mon avis, je pense même
Aux risques de faire un affront
À ces Maîtres du double mont,
Que l'avenir, Juge suprême,
Leur ôtera leur diadème,
Pour le poser fur votre front.
Sans doute, ils ont quelque génie :
L'un peignit l'âme des Héros,
Et de la poudre des tombeaux,
Fit sortir l'antique Italie ;
À tout il sut donner la vie ;
La Politique est embellie,
Et s'échauffe sous ses pinceaux.
Il fut un Dieu pour la Patrie,
Et créa même ses rivaux.
L'autre éloquent, sensible et tendre,
Peignit les orages du cœur,
L'amour qui mêle la fureur
Aux soupirs qu'il nous fait entendre,
Qui s'agite, marche au hasard,
Attendrit jusques dans ses crimes.
Et qui pleure sur le poignard,
Dont il va frapper ses victimes.
Dans Cinna, dans Britannicus,
Phèdre, le Cid, Iphigénie,
Mithridate, Sertorius,
Et Bajazet, et Pulchérie,
Je vois des moyens bien tissus,
Les ressorts de la tragédie
Déployés sans être aperçus,
Des passions et des vertus
Contrastants avec énergie,
Un goût délicat, éclairé,
Qui m'entraîne par sa magie.
Mais dans tout cela je défie
Qu'on me fasse voir un Curé.
C'est du Curé que je raffole.
Si le reste est moins éclatant,
Le Curé bientôt me console,
Et je me pâme en l'écoutant.
Je me passionne et me damne,
Voulant imiter votre feu
C'est la main d'un Prêtre de Dieu
Qui vous ceint du feston profane.
Mes vœux ne seront pas trompés,
Et vous serez, malgré la haine,
Ou le Sophocle de la scène,
Ou le lecteur de nos soupés.
S'il vous prend parfois fantaisie
D'aller entendre mes sermons,
Et de me voir quand j'officie,
Je sais ce que nous vous devons.
En mémoire d'un tel chef-d'œuvre,
Je veux que vous et vos lauriers,
Vous soyez installés dans l'œuvre,
Près du moins sot des marguilliers,
Ce qui tient à mon ministère,
Pain de vie, exhortation,
Conseils paternels, oraison,
Je vous promets le tout en frère.
Et si jamais l'attrition
Vous invite à rentrer en grâce,
Si, dans vous, l'Esprit saint efface
La tragique démangeaison,
Et que d'un illustre renom
Vous cessiez enfin d'être esclave,
Fissiez-vous un autre Gustave,
Comptez sur l'absolution.
Dorat
F.Fr.1365, p.437-44 - Poésies satyriques, p.161-67 - Satiriques du dix-huitième siècle, p.158-64