Sans titre
Approchez-vous, belle assistance,
Venez vous ranger à ma voix,
Et vous apprendrez cette fois
Un trait de grande conséquence
Que tout le monde admirera
Qui vient d’arriver près d’Egra.
Quand le maréchal de Belle-Isle
Quitta Prague, on ne sait pourquoi,
Il emmena bien des bourgeois
Et des plus huppés de la ville,
Pour otage et pour cautions
Qu’on eût bien soin des moribonds.
Il emporta force vaisselle
Et d’autres bijoux à foison.
D’ainsi tout prendre il eut raison :
Se fier à nation telle
Ne serait ni sûr ni prudent ;
Aussi ne fit ce conquérant.
Comme on était dans le voyage
Et que l’on approchait d’Egra,
Un grand mal de ventre arriva
Qui saisit l’un de ses otages.
Il fallut descendre au plutôt
Ou foirer dans le berlingot.
Un petit bois au voisinage
Servit de retraite au foireux.
Dedans entrait ce malheureux
Quand un coquin fait au pillage
(C’était un inhumain houzard)
S’en vint fondre sur le chiard.
Allons vite, qu’on se dépouille,
Où je te casse le grouin.
Au plus vite le citadin,
Sans attendre que l’on le fouille,
A peine eut-il posé son cas
Qu’il mit son justaucorps en bas.
La troupe entrait en méfiance
Du trop longtemps qu’il y mettait.
Dans le soupçon où l’on était,
On détacha de l’assistance
Un fier et généreux dragon
Pour chercher l’homme en faction.
Comme notre dragon broussaille,
Il vit s’esquiver un houzard.
Arrête, cria-t-il, pendard,
Arrête, maudite canaille,
Reconnaissant, comme il a dit,
Du foireux otage l’habit.
Alors le dragon vous lui lâche
Un adroit coup de mousqueton
Qui fit tomber notre fripon
D’une balle dans la moustache,
Et d’une autre, au travers du rein
Qui l’étendit sur le terrain.
Il se saisit de l’équipage
Et revint rejoindre son corps,
Rend la veste et le justaucorps,
La bourse et la montre à l’otage
Et même une bague de prix
Que notre voleur avait pris.
Le bourgeois par reconnaissance
Voulait tout donner au dragon,
Mais ce généreux champion
Refusa toute la chevance
Et dit : Monsieur, je ne veux rien,
C’est le vôtre et non pas le mien.
Prenez du moins pour votre course
Ce que cette bourse contient.
Non, Monsieur, rien ne m’appartient ;
De grâce, serrez votre bourse.
Vous servant de tout mon pouvoir,
J’ai simplement fait mon devoir.
Les officiers, l’âme surprise
De telle générosité
Ont écrit à Sa Majesté
Afin que lui-même il la lise
Et le Roi l’a fait sur-le-champ
De ses dragons le lieutenant.
Profitez bien, brave jeunesse,
Du louable trait de valeur
Et gravez bien dans votre cœur
Cette magnifique prouesse,
Afin que de même agissant
De soldat soyez lieutenant.
Mazarine Castries 3988, p.191-95
Cette histoire s’est passée dans la retraite que fit le maréchal de Belle-Isle de Prague à Egra, où il arriva le vingt-quatre décembre. (M.)