Sans titre
Cher Apollon, je retourne en Champagne.
Vous le voulez, je vous obéis.
Je vais chanter sur les folies d’Espagne
Tous les malheurs qu’on voit en ce pays.
Hélas, chez nous tout était si tranquille,
On ne songeait qu’à couronner la paix
Quand par malheur Charles II imbécile
A fait un feu qu’il n’éteindra jamais.
L’on commençait à goûter l’abondance
Et le doux fruit de la tranquillité
Quand Dieu donna cette chétive engeance
Pour abaisser des lys la vanité.
Toute l’Europe a vu ce coup de foudre,
La France en a senti le rude poids
Le seul Piémont qu’on voit réduit en poudre
A déjà mis tout le monde aux abois.
Le Hollandais en perdant son négoce
Se voit puni de son soulèvement.
De bon cheval il est devenu rosse,
Rosse pourtant qui nous rosse souvent.
L’Anglais, cruel ennemi de l’Église
Sans nul profit se bat en enragé,
Mais par Cromwell pour punir la sottise
Il se verra tôt ou tard saccagé.
Du feu cruel qu’allume cette guerre
Avec Hosteck tout l’empire a tremblé ;
Mais le grand dieu qui lance le tonnerre
Sur nous, hélas, a le coup redoublé.
Non, pour bien faire, il n’en faut plus reprendre [?]
Couper la tête au poltron de Tessé,
Ou pendez-le, ou réduisez en cendre
Titre, bâton, après être cassé.
A Villeroy, ce maudit capitaine,
Il faudrait faire un pareil traitement
Ou tout au moins que telle âme hautaine
Aille au Brésil dans son gouvernement
Si vous voulez, grand Roi, faire justice
Prenez le bien de vos trois généraux,
Tessé, Tallard, Villeroy, leurs services
Méritent bien qu’on les traite en marauds.
Tessé, poltron, nous a perdu l’Espagne ;
Tallard, sans yeux perditd eux électeurs
Et Villeroy, pour ouvrir sa campagne,
Perdit la Flandre. Ô dieux, les bons acteurs.
Si par bonté vous leur donnez la vie,
Envoyez-les tous garder des troupeaux
Ou décrotter souliers à la Sylvie [?]
C’est là le fait de ces grands généraux.
Peut-être aussi par un sort plus propice
Que l’archiduc Eugène et Marlborough
Pourront fort bien les prendre à leur service,
Car ils sont nés pour être sous le joug.
De La Feuillade enfin, que faut-il faire ?
Pour n’avoir pu nous soumettre Turin
Que ferons-nous de lui et de son père ?
Envoyez-les tous les deux au moulin.
Pour terminer heureusement l’affaire
Pendez aussi vingt de nos généraux
Et ce sera le plus juste salaire
Que vous puissiez donner à leurs travaux.
Si je voulais, j’en donnerais la liste
Je suis bien sûr qu’aucun de nos Français
Ne me croira pour cela janséniste,
Que tout soldat me donnera sa voix.
J’en donnerais au moins une douzaine
Avec Balzac, Quentin et de Guiscard
Qui de grand cœur pour mieux reprendre haleine
Pendant le choc vous se mettre à l’écart.
Où sont ces noms si dignes de la scène,
Où sont ces noms d’Orléans et d’Enghien ?
N’est-il donc plus au monde de Turenne,
Plus de Condé, ni plus de sang romain ?
A quoi sert-il que de grands capitaines
Nous aient laissé de leurs postérités,
Si l’on ne voit que des âmes hautaines
Qui sur les cœurs n’ont point d’autorité ?
Ouvrez les yeux, grand monarque de France,
Ouvrez les yeux, et prenez pour appui
Bourbon, Conti ; l’on sait la différence
De ces guerriers aux guerriers d’aujourd’hui.
Voyez combien votre illustre Vendôme
Vous a déjà remporté des combats.
Si vous voulez sauver votre royaume,
Votre sang seul doit marcher sur vos pas.
Ce n’est pas tout, il faut qu’en vos ministres
Vous daignez faire un petit changement
Pour ne plus voir d’événement sinistre,
Mais avant tout qu’ils rendent largement.
Pour l’entretien de vos grandes armées
Il vous faut bien tout au moins vingt millions.
Purgez-les donc ; ces âmes affamées
Vont dégorger plus de vingt millions.
Pour commencer le comte de Sagonne,
Jadis maçon, depuis surintendant
Peut vous donner beaucoup mieux que personne,
Six milions au moins, argent comptant.
Reprenez-lui ses terres, ses domaines,
Ses dignités, ses titres, ses châteaux.
C’est pour payer trois mille capitaines,
Ou tout au moins vingt braves généraux.
C’est votre bien, vous pouvez le reprendre
A maçonner on gagne son écu ;
S’il ne veut pas, Sire, faites-le pendre,
Car aussi bien il n’a que trop vécu.
Qu’il reprenne son ciseau, sa truelle,
Il fait fort bien des murs et des maisons ;
Pour le revoir encor sur une échelle,
Ordonnez-lui de bisquer vos maisons.
Il ferait beau voir en cet équipage
Le gros Mansard1 , crotté comme un barbet.
S’il peut tomber d’un quatrième étage,
Il sauvera sa tête d’un gibet.
Chamillard peut donner pareille somme,
Moitié comptant, le reste en quinze jours.
Cela suffit, cat il est fort bon homme ;
Une autre fois vous y aurez recours.
Ordonnez-lui seulement de reprendre
Au plus par an deux ou trois millions,
Car en un mot, si tout va mal en Flandre,
Ainsi qu’ailleurs, c’est faute d’espions.
Le Chancelier avec son compte borgne
Ont trop pillé, qu’ils en donnent autant.
Je vois déjà Châteauneuf qui vous lorgne
Et de Torcy va payer comptant.
Vous ne devez guère moins en attendre
De la louve, veuve du grand Louvois,
Et deux millions que peut fort bien vous rendre
Le gros cochon qui sacre à Reims les rois.
Au rang plus bas, vous trouverez Lavienne,
Bontemps, Boivin, Vieuville et Bachelier.
Remettez-les dans l’état d’où ils viennent ;
Ils ont changé leurs sabots en souliers.
Ordonnez-leur dans vos besoins extrêmes
De vous fournir de deux ou trois millions.
Morbleu, les fils et les pères eux-mêmes
Auront encor trop de possession.
Pour Bourvalais, cette avide sangsue,
Son ancien maître, Antoine Thevenin,
Ce gros fermier, cette race goulue
Fourniront bien cinq millions sterling.
Que de prélats, d’intendants de province,
De gros abbés pourraient vous soulager ;
Leur équivage était jadis si mince ;
Croyez-moi, Sire, il faut les fourrager.
Lors, par un ordre établi dans la France
Vous nous pourrez soulager des impôts ;
Vous chasserez les voleurs d’importance
Et vous aurez de meilleurs généraux.
Pour rétablir à jamais votre gloire,
Pour conserver l’honneur de votre nom
Et faire un jour bénir votre mémoire,
Renvoyez à Saint-Cyr la Maintenon.
Noailles, La Chaize et tous gens d’Église
Ne valent pas que l’on vous parle d’eux ;
Faites-les enfermer à Pierre-Encise.
La France et vous en serez beaucoup mieux.
- 1Mansard, intendant des bâtiments du Roi.
Mazarine, MS 2163, p.123-134