Sans titre
Or écoutez, grands et petits,
Combien redoutable à Paris
Est la puissance jésuitique1 .
En voici la preuve authentique.
Son ombre seule a fait frayeur
A Barbin, ce pieux pasteur.
Contre la Constitution
Avec peu de précaution
Une seule fois dans la ville
Il avait déchargé sa bile,
Et dit qu’elle ne valait rien,
Comme dit tout homme de bien.
Or voici que par cas fortuit
On s’en vient l’éveiller la nuit
Pour fille de la comédie
Laquelle en grande maladie
Lui demanda permission
De faire sa confession.
Donc un peu plus tard que le soir
Deux Théatins le vinrent voir
Avec un brave gentilhomme.
Il était à son premier somme.
Les entendant parler tout haut
Il se réveilla en sursaut.
A la ressemblance d’habits
Pour deux Jésuites il les prit ;
L’âme épouvantée, troublée,
Du gentilhomme porte-épée
Il en fit bientôt un exempt
Venu pour l’emprisonnement.
Pour éviter ce piteux cas,
Il se jette de son lit bas,
A deux genouils il les conjure
D’excuser si par aventure
Une pauvre fois seulement
Il a lâché son sentiment.
Eux, le voyant à deux genouils :
Pour qui, Monsieur, nous prenez-vous ?
Lui dirent-ils d’une voix tendre.
Ne pourrions-nous pas apprendre
Quel peut être votre forfait ?
Qu’avez-vous dit ? Qu’avez-vous fait ?
J’ai de la Bulle de Clément
Dit un mot malheureusement,
Mais mon fait ne fut qu’imprudence.
Dites au Roi ma repentance ;
J’accepte sans restriction
Tout la Constitution.
Pour vous, mes Pères, vous savez
Que je vous ai toujours aimés
Et que dès ma plus tendre enfance
J’ai toujours pris votre défense
Contre mil mauvaises gens
Qui vous traitent de garnements.
Lors, voyant que ce grand effroi
Venait du confesseur du Roi,
Par leurs bas ils le rassurèrent
Et comme un biquet lui montrèrent
Patte blanche, que savons tous
Ne se point trouver chez les loups.
Or prions le doux rédempteur
Qu’il garde de même frayeur
Nos bons prélats ; leurs assemblées
Ne pourront être troublées.
Comme ce pauvre épouvanté
Ils trahiront la vérité.
Si vous voulez savoir le nom
Des Théatins en question
Benoît s’appelle ce bon père.
Les comédiens en ont affaire
Quand la Denesle veut mourir,
C’est lui qui vient la secourir.
Notre curé est en émoi,
Pouvez-vous pas dire pourquoi,
Vous, magister qui savez loi,
Gros Jean, il n’y a pas à rire :
Pape, évêque, moine, ils sont tous
Comme s’ils allaient être fous.
Il y a de la part, dit-on,
Du pape Constitution
Qui damne bien des saintes âmes
Et défend à toutes les femmes
De prier Dieu leur créateur
Qu’en latin de bouche et de cœur.
Ils veulent qu’on quitte Quesnel
Qui damne le péché mortel
Et qui fait, dit-on, faire le diable
Dans un livre très admirable :
Mais eux montrent dans leurs écrits
Tous les détours du paradis.
Et les dévots bien embrouillés,
Et les esprits sont barbouillés.
Qui s’en moque, sont les Jésuites
Qui font partout les chatemittes.
Le Roi les prend pour gens de bien,
Mais on dit qu’ils ne valent rien.
On dit qu’ils veulent bien du mal
A notre illustre cardinal,
Et qu’ils sont au désespoir comme
Il est dit un si honnête homme
Qui croit comme article de foi
Qu’il faut aimer Dieu et son Roi.
Gros Jean, ils veulent en un mot
Qu’auprès d’eux chacun soit un sot,
Mettant la grâce en une trappe
Qui ne s’ouvre que par le Pape
Pour n’en donner qu’à lèche-doigt,
A qui leur plaira, même au Roi.
Quoi ! les rois souffriront cela ?
Morgue, je ne suis q’un pied-plat.
Tais-toi, ils en savent bien d’autres.
Va, va, ce sont de bons apôtres
Et qui sont des rois bien chéris
Car ils les sauveront gratis.
Ils disent aux rois : étrillez
Tous vos peuples, prenez, pillez.
Pour vous seuls la poule doit pondre.
Ce sont brebis bonnes à tondre.
Nous prêcheront en temps et lieu
Ce qu’à pour vous dû dire Dieu.
A propos de Constitution,
Le Roi en fait pour des millions
Est-ce comme celle du Pape ?
Chut, crainte qu’on ne le traque.
Je ne sais tout cela qu’à demi
Mais c’est je crois que ci que mi.
- 1 Sur une aventure arrivée au curé de Saint-Cosme qui prit deux Théatins pour deux jésuites, et Quinault, le comédien, pour un exempt, qui furent chez lui pour lui demander la permission de confesser la Denesle, comédienne.
Maurepas, F.Fr.12627, p.247 - F.Fr.12159, f°18-20 (couplets 1-11) - BHVP, MS 551, p.105-07 - BHVP, MS 580, f°69v-71r - Mazarine, MS 2163, p.27-35 - Mazarine Castries Ms 3981, p. 211-215