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La déclaration du Sieur Delyon

La déclaration du Sieur de Lyon,

faite aux prisons de Roanne, le 9 mars 1764,

mise en chanson sur l’air de la Petite Poste de Paris.

Vive l’esprit et le crédit

Quand on les sait mettre à profit.

Moi, Delyon, bon commerçant,

Que l’on a vu des plus brillants,

En charrette il me faut rouler,

Mon cabriolet est brisé ;

 

Qui pourra chanter ma chanson

En poursuivra les leçons ;

Pour avoir trop voulu briller

Et sur mon propre frère tenter,

Un procès me faut essuyer

Et par la justice passer.

 

La sénéchaussée de Lyon,

Éclairée de mes actions,

Jugea mes faits par trop prouvés ;

A la mort elle m’a condamné.

Tout prêt à dire mon peccavi,

Je rappelle droit à Paris.

 

Tous mes parents, fort bonnes gens,

Ne paraissaient pas bien contents,

Écrivent à la Conciergerie,

Prison du Palais à Paris

Où l’on épluche tous les cas

Par les plus célèbres avocats.

 

Me servant de mon argument,

De la clef d’or, aussi d’argent,

Des praticiens des plus zélés

Pour les beaux mémoires arranger

ont débattu dans mon procès

Des crimes dont on m’accusait.

 

L’on m’interroge et l’on m’entend,

Je réponds des plus fermement,

L’on croit à toutes mes questions

Qu’il fait bon avoir des leçons ;

Car quand il s’agit de mourir,

L’on fait tout pour en revenir.

 

Par de certains faits approuvés

Que l’on connaît pour vérité,

Le Parlement m’a condamné

D’être fouetté et marqué,

Sur les deux épaules assurer

G. A. L. pour me distinguer.

 

Tout prononcé sans rappeler,

Une chaise bien préparée

Me tire de la Conciergerie

Et me fait sortir de Paris

Pour à Lyon aller danser

Le branle qui m’est préparé.

 

Le sept de mars, à minuit,

J’arrive sans faire un grand bruit,

Sans sonner cloches ni tocsin ;

Le jeudi, dès le lendemain,

Dans Roanne, aussi dans Lyon,

Chacun se repaît de mon nom.

 

Le vendredi sans plus tarder

La gavotte m’est présentée,

Les cavaliers sont commandés,

Le guet à pied pour m’escorter,

Sans hautbois, basses, ni violons,

Il faut danser le rigaudon.

 

Catalan, mon proche voisin,

S’en vient à dix heures du matin,

Il me dit sans complimenter,

Monsieur Delyon, sans plus tarder,

Voici ma voiture préparée,

Sur le siège il vous faut monter.

 

L’on vous attend, soyez constant,

La scène est pour une heure de temps.

Votre habit il vous faut quitter,

La chemise bien rabaissée,

J’aperçois une giboulée

Qui pourra vous incommoder.

 

Moi, sans faire beaucoup de façons,

La tête nue comme un lion,

J’obéis au commandement,

Me déshabillant à l’instant ;

Je ne fus pas sitôt monté

Que chacun veut me regarder.

 

Que de gageures se sont perdues,

Croyant que je ne viendrais plus ;

Quoiqu’étant dans un négligé

N’ayant point d’habits galonnés,

J’aperçois les petits et grands

Qui me reconnaissent en passant.

 

Un ruban de chanvre me tient

Par le col qui n’est pas trop fin ;

Quelle différence j’aperçois :

Ce n’est pas mon cabriolet,

Ni le bidet que je montais

Qui si souvent caracolait.

 

Sortant Roanne il faut passer

Par la belle rue des Fouettés,

Rue Saint-Jean et le Change aussi,

Le pont de pierre si joli,

Laissant Saint-Nizier à côté,

Pour sur les Terreaux arriver.

 

Fais ton office, Catalan,

Met le fer chaud car il est temps ;

Avançons des plus promptement,

La rue Mercière nous attend,

Pour aller droit aux Jacobins

Y danser un petit refrain.

 

Rue Saint-Dominique je vois,

Voilà Bellecour que j’aperçois,

Le pont de bois me faut passer

Pour à Roanne y reposer.

Je suis au bout de ma corvée,

Pour moi quelle fatale journée.

 

Je n’y ferai pas grand séjour,

Adieu Lyon et tes atours ;

Je vais droit à ma destinée ;

Maudit soit la vanité

Qui conduit à l’ambition

Et nous plonge dans les affronts.

 

Je vais apprendre le breton,

A Brest je vais sans façon,

Soit à Marseille ou à Toulon ;

Jamais je ne verrai Lyon ;

Sur les galères me faut aller

Pour apprendre à bien manœuvrer.

              Fin

Numéro
$6339


Année
1764




Références

Imprimé, 2 p. in-4°


Notes

Poème précédé d’un récit en prose du même événement, conclu par la formule: Ce journal a été fait et dressé dans une exacte vérité par moi, Adamoli. Précédé de la note suivante :

On trouvera joint à ce mémoire une chanson imprimée, mais pitoyable, sans rime ni raison, composée par quelqu’un du bas peuple ; on l’a chanté et vendue publiquement pendant trois jours dans les rues de Lyon.

Voir aussi $6338