Sans titre
Or écoutez, grands et petits
L’événement de ce pays,
Oh reguingué, Oh lon lan la
Qu’on appelle la Moscovie
Dont la Reine a perdu la vie1 .
En octobre, le vingt et huit
Mourut, à peine qu’il était nuit,
Oh reguingué, Oh lon lan la
A Saint-Pétersbourg la Czarine,
Mort qui ses bons sujets chagrine.
Elle avait fait mourir des gens
Qui tenaient là les premiers rangs
Oh reguingué, Oh lon lan la
Sans considérer leur naissance
Les condamnait à la potence.
Apparemment des rejetons
De ces beaux et barbare noms
Oh reguingué, Oh lon lan la
Par leur secrète manigance
En ont bien su tirer vengeance.
La Czarine était en santé
Et son royaume en sûreté
Oh reguingué, Oh lon lan la
Tout bien paisible en apparence,
Survint un mal de conséquence.
On ne sait pourquoi ni comment
Lui prit un grand vomissement
Oh reguingué, Oh lon lan la
D’où s’ensuivirent des symptômes
Qui font perdre la vie aux hommes.
Tous les médecins consultés
Restent comme des hébétés
Oh reguingué, Oh lon lan la
Ne comprennent rien à la chose,
N’en pouvant deviner la cause.
Car ils sont tous en ces pays
Tout ainsi qu’ils sont à Paris
Oh reguingué, Oh lon lan la
Ignorant des maux la nature,
N’en parlant que par conjecture.
L’un d’eux ayant plus de raison
Dit qu’il soupçonnait le poison
Oh reguingué, Oh lon lan la
Mais si tard il dit sa pensée
Que la poitrine est enflammée.
Le vingt-sept on fut tout joyeux ;
On croyait la Czarine mieux
Oh reguingué, Oh lon lan la
Mais ce ne fut qu’en apparence,
Le soir on perdit l’espérance.
De sang fut le vomissement.
On songe vite au testament
Oh reguingué, Oh lon lan la
Et comme prudente personne
Disposa bien de sa couronne.
Elle donne son âme à Dieu
Et sa couronne à son neveu
Oh reguingué, Oh lon lan la
Et dispose de la régence
Pour un ami de confiance.
Bevern est le nom du poupon,
Celui du régent est Biron
Oh reguingué, Oh lon lan la
Dont on a dit mainte légende
Quand il fut fait duc de Courlande.
La légende qu’on en a dit
C’est qu’ils n’avaient tous deux qu’un lit
Oh reguingué, Oh lon lan la
Mais peut-être est-ce médisance.
N’importe, il aura la régence.
Le plus jeune de tous les rois,
Puisqu’il n’a pas plus de six mois
Oh reguingué, Oh lon lan la
Vient d’être avec magnificence
Conduit au palais d’importance.
Dedans une chaise à porteur
Il fut mis comme un grand seigneur
Oh reguingué, Oh lon lan la
Sur les genoux de sa nourrice,
Environné de sa milice.
Sa nourrice se rengorgeait
Et ses gros tétons découvrait
Oh reguingué, Oh lon lan la
Pour, en cas qu’il en eût envie
Téter le Roi de Moscovie.
Elle avait autour du gosier
De perles fines un collier
Oh reguingué, Oh lon lan la
Aux oreilles des girandoles
Qui coûteraient bien des pistoles.
On voyait luire en ses habits
Force brillants, force rubis
Oh reguingué, Oh lon lan la
Et tout autour de sa coiffure
Des diamants outre mesure.
Le petit prince entre ses bras,
Épouvanté du grand fracas
Oh reguingué, Oh lon lan la
Que faisaient maintes canonnades
Ne pressait pas ses embrassades.
Aussitôt qu’on fut au Palais
On mit le poupon sous un dais
Oh reguingué, Oh lon lan la
Chacun lui fit sa révérence
Avec grande réjouissance.
Or prions Dieu que ce poupon
Ait un règne paisible et bon
Oh reguingué, Oh lon lan la
Et que le bon duc de Courlande
De nos ennemis nous défende.
- 1Sur la mort de la Czarine arrivée le 28 octobre 1740 à neuf heures du soir (Castries)
Mazarine Castries 3987, p.272-77