Sans titre
Quand ce vint que le grand Bourbon
Voulut passer le Phlegeton,
Il appela l’homme à la barque
Comme eût pu faire un grand monarque.
Mais Caron sans s’en émouvoir
Lui dit ce que vous allez voir.
M’apportez-vous de bon argent ?
Voyons, avez-vous du comptant ?
Non, mais d’actions j’en foisonne,
Dit Bourbon, et jamais personne
N’a fait ce lugubre trajet
En payant d’un meilleur effet.
Je ne connais point ce métal,
Dit le nautonnier infernal.
Il me faut une autre monnoie,
Ou bien en passant je te noie.
Mais reste-là pour reverdir
Car j’en vois un autre venir.
Ah ! c’est l’intendant de Paris,
Des spectacles le favori.
Il a la voix comme un eunuque,
Et n’était sa grande perruque
De loin il nous paraît tout tel
Qu’on nous dépeint Polichinel.
Ça, Monsieur, sans tant barguigner,
Avez-vous là de quoi payer ?
Lui dit Caron comme en furie.
J’ai des billets de comédie.
Si n’êtes content de cela,
Tenez, en voila d’Opéra.
Quelle autre monnaie est cely [sic]
Dit-il à M. de Cely.
Reprenez-moi ces paperasses,
D’un tel présent je vous fais grâce.
Allez vous promener là-bas
Car je ne vous passerai pas.
Caron voyant d’Angervilliers
Crut voir des écus à milliers.
Mais las ! il n’avait que la maille,
Il fut chassé comme canaille
Et tous trois sont au bord de l’eau,
Gémissant de leur sort nouveau.
Ils tiennent un conseil entr’eux
Dessus leur état malheureux.
Ayons un peu de patience
Car j’entrevois notre allégeance.
Hérault est tout prêt d’arriver
Et va venir nous délivrer.
Il a des lettres de cachet
Plein les poches de son gousset.
Il en et chargé, Dieu sait comme,
Les signifiant à cet homme,
Sûrement il nous passera.
Mazarine Castries 3987, p.230-32