Une Fille de rien
Une fille de rien1
Quelle merveille !
Une fille de rien,
Une fille de rien,
Quelle merveille !
Elle est gentille,
Elle a les yeux fripons,
Elle a les yeux fripons,
Elle est gentille,
Elle excite avec art
Un vieux paillard.
En maison bonne
Elle a pris des leçons,
En maison bonne,
Elle a pris des leçons,
Chez Gourdan, chez Brisson2 ,
Elle en sait long.
Que de postures !
Elle a lu l’Arétin,
Elle a lu l’Arétin,
Que de postures,
Elle sait en tous sens
Prendre les sens.
Le Roi s’écrie :
– Lange3 , le beau talent !
– Lange ! le beau talent !
Le Roi s’écrie.
– Encore aura-je su
Faire un cocu.
Viens sur mon trône,
Je veux te couronner,
Je veux te couronner,
Viens sur mon trône.
Pour sceptre prends mon vit,
Il vit, il vit.
- 1On fit d’autres chansons qui n’étaient pas équivoques et qui, sans courir les rues, furent très répandues : Voici la plus naïve et la plus piquante en même temps. (M.) (R)
- 2Célèbres maq… de Paris. (M.) (R)
- 3La demoiselle Lange, fille publique à Paris, vivait par‑dessus le marché avec un sieur du Barry, homme des plus mauvaises mœurs et fort intrigant. Ce malheureux se fit jour à la cour et parvint jusqu’aux oreilles du Roi et fit connaître à Sa Majesté ladite demoiselle, dont la figure réussit aux yeux du Roi ; petit à petit, l’intrigue se forma, soutenue et conduite par le maréchal de Richelieu et le duc d’Aiguillon, qui cherchaient a se faire un appui auprès du trône pour attaquer plus sûrement le duc de Choiseul. Cette passion naissante du souverain fut d’abord combattue par toutes les personnes qui, l’environnant, lui étaient les plus véritablement attachées ; son médecin même osa lui en parler, mais la demoiselle avait pour elle qu’étant instruite dans toutes les ressources du libertinage, elle flattait l’amour‑propre et les sens d’un prince presque sexagénaire et encore sensible aux charmes de l’amour. Pour essayer de lui faire perdre son ancien vernis on l’avait mariée à un frère de ces du Barry, qui se prétendaient issus des fameux lords Barry et prirent leur devise Boute en avant. La nouvelle dame du Barry fut logée dans le château de Versailles ; cependant aucune femme de la cour ne la voyait ; les seigneurs qui allaient chez elle étaient notés et les vrais serviteurs du Roi s’y refusèrent jusqu’aux dernières extrémités. Il fut longtemps incertain si elle serait présentée, le Roi ne pouvait se dissimuler l’effet que cela faisait sur les esprits des grands ; aucune femme de la cour ne voulait se charger de la présentation ; enfin une madame de Béarn ayant accepté la commission, la passion l’emporta et le jour fut pris ; on assure pourtant que ce jour même le Roi était encore incertain et que la présentation n’aurait pas eu lieu si le maréchal de Richelieu n’eût dit au Roi qu’elle était prête ; cela fit la sensation la plus cruelle dans la famille royale et dans toute la cour. On commence à s’y accoutumer et c’est par ce personnage qu’on a vu, en 1769, remplir la place de maîtresse du Roi en titre d’office, vacante depuis la mort de la marquise de Pompadour. Elle a toutes les grâces extérieures de la figure, on dit qu’elle a les charmes secrets du plaisir, on ajoute qu’elle est dépourvue d’esprit, qu’avant de paraître à la cour elle n’avait pour elle qu’un ton grivois qui avait dégoûté plusieurs de ses amants, que depuis sa fortune elle se règle, pour son ton et ses manières, sur les conseils qu’on lui donne, ce qui ne l’empêche pas de commettre de fréquentes indiscrétions. (M.) (R)
Raunié, VIII,134-36 - Barbier-Vernillat, III, 163-64