Jugement de M. Hérault, lieutenant de police
Jugement de M. Hérault, lieutenant de police
Hérault qui vécut moins qu’il ne s’imaginait
Et que la mort déjà dans ses filets tenait,
Se voyant attaqué de longue maladie,
Demanda, ce dit-on, sur la fin de sa vie,
Au bienheureux Pâris sa pleine guérison.
Malgré qu’il fût toujours en prière, oraison,
Il ne put l’obtenir, je n’en sais pas la cause.
Mais si quelqu’un voulait répliquer quelque chose,
On pourrait lui donner cette solution
Qu’il n’avait pas la foi ni la dévotion.
Quoi qu’il en soit, Hérault mourut et tout de suite
S’en alla rendre compte à Dieu de sa conduite,
Devant le tribunal du juge souverain,
De ce juste vengeur qui, la balance en main,
Épluche des méchants les forfaits et les crimes,
Objets de sa fureur, de sa haine victimes.
Hérault, chemin faisant, rencontra par hasard
Le bon Vincent de Paul, ce bénin papelard
Qui d’un air plein de trouble et la mine allongée
S’était vu refuser du paradis l’entrée.
Il accompagnait ceux lesquels, depuis mille ans,
Étaient canonisés à beaux deniers comptants ;
Chacun tenant en main la Bulle et les patentes
Qui prônent ici-bas leurs vertus apparentes ;
Mais au Ciel par malheur on décide autrement ;
On n’est point imposteur ni fourbe impunément.
Rome et ses jugement n’y séduisent personne,
Tout paraît au grand jour et rien ne s’y pardonne.
À cet aspect, Hérault, les sens tout interdits,
Leur dit : je vous croyais, Messieurs, en paradis,
Puisque chez les mortels on chante vos louanges,
Qu’on vous met au-dessus des anges, des archanges ;
L’on est donc bien trompé. Comme il parlait encore,
Il voit venir Pâris ; son cœur, à cet abord,
De frayeur tressaillit ; il sent la conscience
Lui reprocher les maux, les tourments, la souffrance
Dont il chargea cent fois grand nombre d’innocents,
Pour être devenus du saint les partisans.
Le voyant entouré d’une éclatante gloire,
Ayant la palme en main, gage de sa victoire,
Il se jette à ses pieds, reconnaît son erreur,
Implore son secours, son crédit, sa faveur.
Le bienheureux, touché de ses cris, de ses larmes,
L’anime, le console, apaise ses alarmes
Et lui promet enfin son intercession
Pour faire révoquer sa condamnation.
Or il fut décidé dans le conseil suprême
Que, vu son repentir et sa douleur extrême,
Qu’engagé par erreur et non par passion,
Il n’avait obéi qu’à la séduction,
On ne l’enverait point aux flammes éternelles ;
Mais que pour expier ses chutes criminelles,
Il lui faudrait, avant d’entrer en paradis,
Rester mille ans auprès du tombeau de Pâris
Et faire à sa mémoire une amende honorable,
En baignant de ses pleurs ce tombeau respectable.
Bois-Jourdain, III, 39-40