L’aigle et l’assemblée des oiseaux Fable
L’aigle et l’assemblée des oiseaux
Fable
Le roi du peuple ailé, peuple léger sans doute
Puisqu’à travers les airs il se fraye une route
(Oh ! oui, léger de corps et très vain de cerveau)
Pour des raisons d’état s’assembla bien et beau.
Sa Majesté voulait mettre ordre à ses affaires.
Pourquoi non ? Croit-on que les rois
Dont enfin les trésors s’épuisent par les guerres,
Ne soient pas obligés de compter quelquefois ?
Si d’autres, au surplus, ne s’en occupent guère,
L’aigle, beaucoup plus sage, en s’imposant la loi
De voir comme à sa dette il pourrait satisfaire
Montra qu’il n’était point un monarque ordinaire,
Qu’il croyait pouvoir tout, hors de manquer de foi.
Le voilà donc qui veut qu’auprès de sa personne
Viennent et Paons et Ducs et jusques aux moineaux
Pour donner par des soins nouveaux
Un nouveau lustre à la couronne.
Là, le sort, comme ailleurs, fait ses lots inégaux.
Les moineaux, classe active et féconde et nombreuse,
Mais aussi classe malheureuse,
Aux Paons, aux Ducs cédaient le pas.
Le peuple ainsi partout siège au rang le plus bas.
Pour lui tout le travail, pour les autres les grâces ;
Chez les plus sages potentats
L’oisiveté, l’orgueil ont les premières places ;
Cette fois-ci, pourtant, malgré de longs débats,
L’oisiveté, l’orgueil ne l’emportèrent pas.
L’aigle, dont la détresse alors semblait extrême,
Tout à coup éclairé sur ses vrais intérêts,
Vit qu’à l’égard de ses sujets
Il devait imiter la justice suprême
Qui sans distinction soumet à ses décrets
Petits, grands et monarque même.
Paons et Ducs prétendaient faire au peuple moineau
Des charges de l’État porter tout le fardeau :
L’aigle établit entre eux une juste balance,
Mit les titres à part, consulta les moyens,
Arrangea tout enfin avec tant de prudence
Que chacun désormais paya suivant ses biens.
N’étaient-ils pas tous citoyens,
Protégés en commun par la même puissance ?
Vous comptez donc pour rien, dignités, rang, naissance ?
S’écrieront ici bien des gens,
Et le titre d’altesse et celui d’excellence
A vos yeux sont indifférents ?
Comment indifférents ! Ils sont nuls, si l’on pense
S’en faire un droit d’indépendance ;
Des taxes, des tributs se déclarer exempt,
Presqu’en un rang divin placer son existence.
Tenez, j’entre avec vous en accommodement.
Je vous croirai, Messieurs, une race pétrie
D’autre limon que nous qui nous nommons Grosjean
Et qui payons pour la patrie.
Quand je verrai la foudre et la grêle et les vents
Et la mort et la maladie
Ne frapper que le peuple et respecter les grands.
CLM, VIII,3, p.164-66