Michel et Michau
On distinguait dans la cohorte noire
Un homme au teint de couleur d’écritoire1 ,
Qui pérorait, ânonnant, ânonnant,
Gesticulait, dandinant, dandinant,
Et raisonnait toujours déraisonnant.
C’était Omer de pédante mémoire,
Des mauvais lieux autrefois le héros,
Et devenu souteneur des dévots ;
Omer, fameux par maint réquisitoire,
Qui depuis peu vient d’enterrer sa gloire
Sous un mortier pour jouir en repos
De son mérite et du respect des sots.
Un peu plus loin sortait d’une simarre
Un teint blafard, surmonté d’un poil blond,
Un plat visage emmanché d’un cou long,
Le Saint-Fageau qui, saintement barbare,
Offrait à Dieu les tourments de La Barre.
……………………………………………….
Très digne fils de son très digne père,
Déjà Michau pour être commissaire,
Se présentait quand l’avocat Séguier
Dit qu’on devait cet honneur à Pasquier,
Grand magistrat, sévère justicier,
Porteur d’esprit du président d’Aligre.
Deux gros yeux bleus où la férocité
Prête de l’âme à la stupidité,
L’ont depuis fait nommer le bœuf-tigre ;
Jamais surnom ne fut mieux mérité.
Dans sa jeunesse un certain cailletage,
Fade et diffus, mais facile et fleuri,
L’insinua dans le monde poli.
Voulant depuis jouer un personnage,
De nos prélats il se fit l’ennemi ;
Son coup d’essai ne fut pas accueilli,
Mais il a bien repris son avantage
Et s’est acquis un honneur infini
En inventant le bâillon de Lally.
- 1On a su depuis la mort de M. Turgot qu’il est l’auteur de plusieurs morceaux satiriques qui avaient fait du bruit et dont personne ne l’avait jamais soupçonné, tant il y avait de réserve dans son caractère et de discrétion dans ses amis […]. En 1769, sous le ministère de M. d’Invau, il y eut au parlement une assemblée de grande police à l’occasion de la cherté des grains. Messieurs, qui étaient fort peu instruits de cette matière, débitèrent beaucoup d’inepties. M. Turgot qui l’avait beaucoup étudiée, et qui d’ailleurs ne pouvait pardonner au parlement son arrêt contre La Barre, fit alors un petit poème dans le goût du Pauvre Diable, intitulé Michel et Michau. C’étaient Michel de Saint-Fargeau et Michau de Monblin, deux arcs boutants du Palais. On n’en a que quelques fragments qui coururent alors et que tous les gens de lettres crurent de M. de Voltaire, tant on avait réussi à saisir sa manière et sa tournure. Les voici : (La Harpe)
F.Fr.13651, p.310 - La Harpe, CL, t.III, p.224-26
Vers extraits d’un ouvrage dont on ignore le titre (F.Fr.13651)