Aller au contenu principal

Sans titre

Hé bien ! ne l’avais-je pas dit,
Car je connais le sort maudit
Qui toujours me talonne ;
Que j’étais l’unique personne
Qui pût perdre au Mississipi.
Tu le sais, cent fois, cher ami,
Lorsque tu me pressais d’y mettre,
Je te disais : non, non, tournons plutôt un mètre
Que d’acheter des actions ;
Sitôt que j’en aurais, le cas n’est équivoque,
Ce serait la fatale époque
De leur baisse, à coup sûr. Ce sont des fictions
Répondais-tu toujours. Enfin donc j’en achète,
Mais aussitôt, comme j’avais prédit,
Elles tombent en discrédit
Et de ma bourse presque nette
Il faut à chaque jour corriger l’étiquette.
Alors, saisi de belle peur,
Je vends ces actions, admire mon malheur !
J’apprends au premier ordinaire
Que je ne pouvais plus mal faire,
Que ce fonds avait remonté
Avec plus de rapidité
Qu’en tombant il n’avait été.
Voilà donc de tes coups, O fortune inhumaine !
Hé ! de quoi diantre aussi me suis-je avisé là ?
Ne savais-je pas que voilà
Ce qu’un poète doit attendre de ta haine.
Mais je le suis si peu : hé, de grâce, pourquoi
Ne me pas exempter de la commune loi ?
Et sans tirer à conséquence
Ne pouvais-je pas bien gagner quelque finance ?
Tandis que dans Paris, en moins d’un tour de main,
Tant d’autres faisant leur fortune,
D’équipages dorés, fondés sur un gros gain,
Augmentent la foule importune,
Et que tel qui n’était naguère qu’un pied plat,
De son habit brodé fait admirer l’éclat.
Non, cessons d’espérer que jamais son caprice
Du sort dont je me plains répare l’injustice.
Mais toi qui fus toujours sensible à mes ennuis,
Ami, console-moi dans l’état où je suis.

Numéro
$5548


Année
1719 décembre




Références

Courrier politique et galant, 28 décembre 1719