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Sans titre

Or écoutez, petits et grands,
De la musique partisans,
Le récit triste et lamentable
D’une histoire très véritable
Qui vient d’arriver dans Paris
Dont pourtant ne serez surpris.

Juste le dernier jour de l’an,
Ne pouvant aller plus avant,
Le concert des odiphilètes1 ,
Après mainte et mainte courbette
Et de grands efforts superflus
À la fin a montré le cu.

C’est ce concert des plus vantés,
J’entends par ses associés,
Où l’on ne voyait que grisettes,
Que filles et femmes coquettes
Et qui si mal allait souvent
Qu’on en sortait très mal content.

Aussi toujours on entendait
Que de tous côtés on disait :
Ce concert resssemble à la lune,
Ou comme on dit à la fortune.
Il et tantôt haut, tantôt bas
C’est hasard s’il ne tombe pas

Les associés prévoyants
Ce malheur, tous leurs fonds manquants,
À chacun disait : je vous prie,
Entrez dans notre compagnie ;
Il s’y va joindre des seigneurs
Et vous aurez beaucoup d’honneurs.

Certain d’entre eux, gros et bouffi
Et qui faisait le bel esprit
Pour eux tous portait la parole,
Mais ce n’était que faribole
Et nul n’ayant été tenté,
Tout le concert a déserté.

Avant que de faire ce coup
Ils s’en furent à pas de loup
Et par déloyale pratique
Enlever instruments, musique,
Et n’ont laissé pour le loyer
Que de l’ordure à balayer.

Pour se soutenir dès longtemps
Ils avaient pris des concertants,
Leur promettant grande largesse.
Mais loin de tenir leur promesse,
Ils en sont tous, les pauvres gens,
Pour leur colophane et leurs chants.

R…, ce fameux censeur,
Leur copiste et compilateur,
Pour eux travaillait à outrance.
Mais ces ingrats pour récompense
N’ont payé cet homme savant
Que d’un brevet du Régiment.

Aussi dans Paris comme ailleurs
Tous les gens de bien et d’honneur,
Indignés de cette déroute
Et si vilaine banqueroute,
Disent qu’une telle action
Mériterait punition.

Déjà l’on voit ces orgueilleux
Honnis, méprisés en tous lieux
Couverts de honte et d’infamie,
Eux qui, fiers et par jalousie,
Et poussés de l’esprit pervers,
Méprisaient les autres concerts.

Or prions le dieu de bonté
Qu’ayant puni leur vanité,
Leur orgueil et leur arrogance,
Il veuille enfin par sa clémence
Que, de leur faute repentant,
Ils en soient un jour pénitents.

  • 1 Odiphilètes, mot qui dérive du grec et qu’on rend par celui d’amateur du chant, comme mélophilète, amant de la mélodie. Le concert des odiphilètes, qui avait sa salle dans la rue du Foin, était composé de bons bourgeois qui cédaient aux gens de la profession les premières parties tant dans la vocale que l’instrumentale. L’autre, composé de gens de la première qualité, à commencer par M. le prince de Conti, était exécuté comme il plaisait à ces Messieurs qui souvent prenaient les premiers dessus de violon et de flûte traversière et faisaient jouer les secondes parties par les Aubert et les Lussats Le concert quelquefois n’en allait pas mieux. (Castries)

Numéro
$5384


Année
1728 (Castries)




Références

Mazarine Castries 3984, p.325-29