Dialogue d’un Parisien et d’un Romain
Dialogue d’un Parisien et d’un Romain
De par Clément, nous, les enfants d’Ignace
À tous faisons savoir
Qu’il ne faut plus écouter sur la grâce
Ni sur son vrai pouvoir
Paul, Augustin, ni Thomas, mais Moline.
Signé Tournemine au bas,
Signé Tournemine.
Quiconque donc souffrira l’anathème
Du pontife souverain,
Quand ce serait pour la vérité même,
Doit être un Arien.
Signé, conclu, puis mis au champ de d’honneur
Pour qu’on n’en ignore mi
Pour qu’on n’en ignore.
Le Parisien
Voilà, Monsieur, le précis de la Bulle
Qu’on vient de publier
Contre un docteur, digne enfant de Bérulle,
Que l’on veut décrier.
Le faux orgueil et l’injuste imposture
Orne la censure, hélas,
Orne la censure.
Le masque en prit enfin du jansénisme,
Le fantôme s’enfuit.
Depuis longtemps c’était du molinisme
Le prétexte et l’appui.
Mais pour le coup le pape trop sincère
N’en fait plus mystère, lui,
N’en fait plus mystère.
Le Romain
Pourquoi saint Paul condamne-t-il saint Pierre
Malgré sa primauté ?
Ignorait-il qu’un pape a sur la terre
L’infaillibilité ?
Clément n’a pu souffrir ce grand outrage,
Il a du courage, lui,
Il a du courage.
C’est bien à vous, Messieurs les sorbonistes,
À défendre Augustin.
Suivez plutôt les Pères molinistes,
Laissez cet Africain.
Clément le veut et vous l’ordonne en maître.
Il faut vous soumettre, vous,
Il faut vous soumettre.
Le Parisien
Quoi ! nous suivrons le pélagianisme,
Ce dogme antichrétien !
La Bulle dit que sans christianisme
On ne peut être chrétien.
Le Romain
Louis le veut, et Clément parle en maître.
Il faut vous soumettre, vous,
Il faut vous soumettre.
Le Parisien
Mais si Clément, le chef de l’Église,
Est tombé dans l’erreur,
Ne doit-on pas lui montrer sa méprise
Et sauver son honneur ?
Le Romain
Ah ! ce discours est un blasphème horrible.
Il est infaillible, lui,
Il est infaillible.
Le Parisien
Je vois pourtant des papes dans l’histoire
Déposés et démis.
L’Église encor déteste leur mémoire,
Leurs noms et leurs écrits.
À les compter, j’en trouve plus de quatre,
Sans en rien rabattre da
Sans en rien rabattre.
Jamais pontif parut-il plus faillible
Que le pape Clément ?
Dans son décret amour, foi, grâce et Bible
À tout bon sentiment
Sont clair et net proscrits et sans réplique.
Est-il catholique ainsi ?
Est-il catholique ?
Le Romain
Vous changerez de ton et de langage,
Monsieur le bel-esprit,
Quand vos prélats pour finir cet ouvrage
Auront au Pape écrit.
Malgré les cris d’une ville inconstante
Louis veut que l’on chante enfin,
Louis veut que l’on chante.
Le Parisien
Je le sais bien ; le Roi veut que l’on achève,
Le scandale est trop grand.
Il faut brusquer, car si l’on se soulève
L’on perd respect au rang.
Plus creuse-t-on, et plus cette matière
Fuit à la lumière, fuit,
Fuit à la lumière.
J’ai du respect pour le clergé de France
Rempli de grands prélats
Quand il agit sans crainte et violence
Je suis partout ses pas.
Vous le verriez s’il était canonique
Vous faire la nique, à vous,
Vous faire la nique.
Le Romain
Le vice-Dieu du monde aux esprits sages
Ne dit rien d’apocryphe.
Les jugements de si grands personnages
Aux yeux du saint pontife
Sont de ma foi les plus précieux gages.
Tel est mon langage à moi,
Tel est mon langage.
Rendez-vous donc aux avis charitables,
Je vous parle sans fiel,
Résister au pape véritable
C’est offenser le Ciel.
Qu’il l’est ou non, c’est bien là notre affaire.
Nous devons lui plaire à lui,
Nous devons lui plaire.
Attendez-vous qu’un ordre de Versailles
Vous confine en prison.
Le zèle ardent qu’on vante et qu’on rimaille
N’est plus mis de saison.
Laissez les sots donner matière à rire
Par ce faux martyre-là,
Par ce faux martyre.
Le Parisien
Attendez-vous un esprit de girouette,
Esprit sage et prudent,
Un homme qui, comme une pirouette,
Tourne et change à tout vent ?
Le triste état d’un faux catholicisme
Mène à l’athéisme droit,
Mène à l’athéisme.
Quoi, vous voulez qu’une noire cabale
Soit ma règle de foi,
Que son crédit sur la chaire papale
Nous serve à tous de loi ?
Notre Seigneur nous renvoie à l’Église :
C’est là ma devise à moi,
C’est là ma devise.
Vous avez lu qu’autrefois sous Tibère
Tout se crut arien.
Si l’on s’en tient au dogme du Saint-Père,
Tout est pélagien.
Clément veut-il anéantir l’Église
Et faire à sa guise, lui,
Et faire à sa guise ?
Ne sait-on pas partout, jusqu’à la Chine,
Que la Société
À de Clément corrompu la doctrine,
Surprit la piété
Le saint pontife [ill.
Dit comme Pilate aux juifs,
Dit comme Pilate.
A-t-il donc cru conserver à la grâce
Ses droits et ses honneurs
En la privant du pouvoir efficace
Qu’elle a dessus nos cœurs ?
Ah, s’il pouvait faire un si grand miracle,
Il serait oracle alors,
iI serait oracle.
Les factions ont de Rome païenne
Renversé la grandeur
Que deviendrait Rome, à présent chrétienne,
Si la funeste erreur
Dît à Clément que tout ce qu’il fulmine
Chacun le devine assez,
Chacun le devine.
Prosper-Thomas Bellarmin et mille autres
En leurs écrits divers
Plus fortement que Quesnel et les nôtres
Parlent dans l’univers.
Que veut-on faire, opposant Rome à Rome,
Que détruire Rome enfin,
Que détruire Rome ?
Mais pour parler de la nouvelle Bulle
Qui fait partout du bruit,
Vous jugerez comme moi qu’elle est nulle
Quand vous serez instruit.
C’est un mêlé de mensonge et de brigue :
J’en connais l’intrigue, moi,
J’en connais l’intrigue.
L’ambition, le dépit, la vengeance
En firent le projet.
Ce confesseur du monarque de France
En traça le portrait.
Ce Bas-Normand, plus fourbe qu’un Ulysse,
Montra sa malice au jour,
Montra sa malice.
La Bulle enfin, selon que les bons Pères
L’écrivaient de Paris
Se fabriquait par les cinq commissaires,
D’Ignace favori.
Leur but était d’humilier Noailles
Et plaire à Versailles aussi,
Et plaire à Versailles.
Si l’on ajoute ces menaces au tonnerre,
Tout le monde en rira.
L’on ne craint plus la foudre imaginaire
Du Pape ex cathedra.
Aux bons vieux temps pouvait être de guise
Cette marchandise-là,
Cette marchandise.
Savez-vous bien l’effet de que cette Bulle
Va produire en tous lieux ?
Grand nombre hélas devenant incrédule,
N’en croira que ses yeux,
En ce cas-là soyez bon moliniste.
Je suis janséniste, moi,
Je suis janséniste.
Maurepas, F.Fr.12627, p.373-83 - BHVP, MS 511, p.121-128 - Recueil de poésies de différents auteurs, p.1-11 (Nombreuses variantes)
La copie de Maurepas est flanquée d'une très copieuse annotation partisane et présente de nombreuses variantes.