Sans titre
Or écoutez petits et grands
La fin et les commencements.
Les bons succès et l’aventure
Et la triste déconfiture
De cette Constitution
Dont on a fait tant de carillon.
Ce fut, hélas ! Qui l’aurait cru ?
La compagnie de Jésus
Ces bons saints, ces révérends pères.
Aussi les diables s’en mêlèrent,
Surtout le Père Le Tellier,
Qui d’entre eux n’est pas le dernier.
Or donc, eux tous, un beau matin,
Conçurent le mauvais dessein
De faire un nouvel évangile
Pour décharger toute leur bile
Contre les serviteurs de Dieu
Qu’ils persécutèrent en tous lieux.
Pour le faire, ils vont d’adresser
Où pouvaient-ils mieux rencontrer ?
À ces prélats qui portent mitres1
.
Aussi barrettes à bon titre,
Puisque des fils de Loyola
Ils avaient acquis tout cela.
Les amis servent dans le cas,
Ceux-ci ne furent pas ingrats.
Comme ils savaient fort bien écrire,
Tous une lettre ils souscrivirent
À Sa Sainteté puis au roi,
Qui les crut sur leur bonne foi.
Mais par grand malheur il advint
Qu’on la trouva sur le chemin
Et qu’on découvrit leur misère,
Ce qui aurait gâté l’affaire
Si d’autres s’en fussent mêlés
Moins habiles, moins dératés.
Déjà deux prélats l’avaient dit,
Quesnel devait être proscrit.
Ils sont maîtres en la boutique
Où ces nouveaux Vulcains fabriquent
Les foudres que le Vatican
Ne lancent pas contre le vent.
Quand donc le pape eut bien longtemps
Examiné sérieusement
Du conseil de cinq bonnes têtes
Qui ne craignaient pas la tempête,
De Dieu le saint nom invoqué
Il se résolut à parler.
On dit que quand il enfanta
L’Unigenitus aux cent bras,
Les entrailles se déchirèrent
Et que les devins augurèrent
Que cet enfant n’irait pas loin
Si l’on n’en prenait pas grand soin.
Cependant on l’emmaillota
Et dans Paris on l’envoya,
C’est là qu’il reçut le baptême
Car quoiqu’il fût du pape même,
Tout comme nous il était né
Sujet à l’erreur du péché.
Quand il parut, chacun s’enfuit
Tant il était laid et maudit.
Des jésuites même en colère
Dirent : on impose au Saint-Père.
Bien leur en cuisit de ces mots
Qui ne furent pas à propos.
Mais aussitôt les gros bonnets
Furent plus sages, plus discrets.
Car il faut leur rendre justice,
Ils ne parlent pas en novices,
Ruant en eux-mêmes, ils allaient
Pour regarder ceux qui passaient.
Quand le premier feu fut passé
Et qu’on y eut un peu pensé,
On changea bientôt de langage,
On en devint un peu plus sage.
Ce vilain enfant, ce magot
N’était plus si laid et si sot.
Le roi qui aimait cet enfant
Comme on le sait très tendrement
Fut touché jusqu’au fond de l’âme,
Voyant que l’on traitait d’infâme
Cet enfant parce qu’il est né
Du côté gauche et mal tourné.
Il dit : j’en serai le parrain
Et je veux qu’il soit bon chrétien.
La chose n’était pas facile
Mais était-il rien d’impossible
À ce grand roi religieux
Car il avait fait tous ses vœux2
.
On assembla donc à Paris
Nombre de prélats fort choisis3
.
C’était pour la cérémonie :
Jamais plus belle compagnie
Ne s’était vue depuis longtemps,
Tant ils étaient lestes, pimpants.
Ne vinrent là tous de grand cœur
Sans défiance et sans frayeur.
Puis l’enfant ils examinèrent
Ou plutôt il l’étudièrent.
Ils le firent en peu de temps
Sans en devenir plus savants.
Bon Dieu, dit l’un, qu’il est crotté !
L’autre, qu’il est mal habillé !
Il faut lui donner des entorses
Car il a trois ou quatre bosses
Et l’on convient, tout raisonné,
Qu’il fallait le laisser-passer
Sur le champ Bissy l’empoigna
Et Mailly4
le cul lui torcha.
Rohan qui s’entend en parure
Lui mit l’habit et la ceinture,
Mais pour ne le pas étouffer
Il ne voulut pas serrer.
Cependant l’enfant s’ennuyait
De ce que Bissy le tenait.
D’une manière un peu durette
Comme dessus une sellette
Pour finir, l’évêque du Mans5
Lui donna de l’orviétan.
Aussitôt il fut baptisé
Et légitime déclaré.
Le Tellier donna des dragées
Qui ne furent pas épargnées.
Mais Bissy se jeta dessus
Et prit tout comme un gros goulu.
Quand tout fut fait en liberté
Ils dirent d’un ton assuré,
Avec connaissance de cause
Sans équivoques et sans clause,
Qu’on reconnaissait dans l’enfant
Les traits de son père Clément6
.
Quelques-uns mêmes des plus vieux
Crurent voir en lui ses aïeux
Disant : il parle comme Pierre,
Il en a toute la manière,
N’en doutez pas nous le savons
Sûrement par tradition.
Cependant d’autres plus savants,
Mais en petit nombre pourtant,
À cet enfant firent la mine,
S’en allèrent à la sourdine
Pendant que d’autres humblement
Lui venaient faire compliment
Ils disaient qu’il était trop laid,
Que son habit était mal fait,
Qu’on l’avait en grande risée
Fagoté comme une poupée,
Que son père en serait fâché,
Qu’il fallait à lui s’adresser.
Mais malgré eux, malgré leurs dents,
On conduisit au Parlement
L’Unigenitus en jaquette
Et chacun lui fit la courbette.
Il y attrapa seulement
Quelque chiquenaude en passant.
Puis le roi partout l’envoya
Avec un bon certificat,
Il fut reçu vaille qui vaille
Et malgré toute la canaille,
Car filles, femmes, moines, gueux
Lui voulaient arracher les yeux.
À Metz il entra plaisamment
Il avait un habillement
Tout neuf et de belle écarlate.
Mais c’était une disparate
De voir un vrai polichinelle
Habillé comme un colonel.
Le roi crut qu’on s’était moqué,
L’habillement fut confisqué
Par un arrêt en bonne forme,
Ce qui ne déplut par à Rome.
Mais l’évêque bien modéré
N’en veut, dit-on, pas appeler.
- 1Les cardinaux de Rohan, Bissy et Polignac. (Castries)
- 2 Le bruit avait couru que Louis XIV avait fait ses vœux de jésuite à l'article de sa mort. (Castries)
- 3L'assemblée du clergé (Castries)
- 4Mailly, archevêque de Reims grand Constitutionnaire. . (Castries)
- 5M. de Crécy, évêque du Mans. (Castries)
- 6Le pape (Castries)
Mazarine Castries Ms 3982, p.214