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Sans titre

Puisque la mort à la fleur de mes ans
Avec sa faux tranche ma destinée,
Adieu vous dis, mes amis, mes parents.
Priez tous Dieu que je ne sois damnée.

J’en ai bien peur car je vois devant moi
Tous mes péchés, toutes mes perfidies.
Quelle âme noire ! Hélas ! Je meurs d’effroi.
Redoublez tous vos saintes psalmodies.

Je n’avais pas encore onze ans complets
Quand par Le Grand1 je me vis mâtinée,
Puis dans Strasbourg m’offrant à peu de frais
À tous greffiers je fus abandonnée.

Paris me vit en sortant de Strasbourg.
J’y vins grisette et presque toute nue.
Vive Paris et son charmant séjour !
C’est un Pérou pour peu qu’on s’y remue.

D’abord je plus au Louvetier2 paillard ;
Il m’équipa, fit pour moi des merveilles ;
Mais il fallait pour jouir du vieillard
Tenir longtemps le loup par les oreilles.

À d’Eudicourt, Brossoré3 succéda.
Pendant cinq ans il fut mon major d’homme.
Mais la Sagonne4 en fourrant lui donna
Ce qui me fit aller droit à Saint Côme.

Adieu Quinault5 , mon frère un peu trop fort ;
Soyez moins fier de l’amour de La Fare.
De vos exploits elle fait moins d’état
Que de Jasmin dont le mérite est rare.

Adieu De Fresne, adieu cher Courcillon6 ,
Ne péchez plus tous deux contre nature.
Troussez plutôt chacun un cotillon
Si vous n’avez d’onguent pour la brûlure.

Adieu ma sœur7 que j’aime tendrement.
Quittez Samuel, il tombe en pourriture.
D’un quart de lieue il sent le monument.
Son seul regard met dans la sépulture.

C’est pourtant moi qui vous vendis à lui
Pour faire entrer et Quinault et son frère
Du duc d’Aumont il me fallait l’appui.
L’argent comptant fit justement l’affaire.

Cent mille écus que lui prêta Bernard8
Pour annoncer quatre mots à Saint-James
Ont fait pour nous vaquer plus d’une part
Dont ont souffert du Faïs et sa femme.

Laissez d’Aumont, il n’est plus qu’un zéro
Depuis qu’il a fait entrer là la Chaise,
Le Morancourt, Durant et Classaro
Il ne vient rien de lui qui ne déplaise.

De Tresmes9 est sot et la Trémoille plat,
Mortemort est ivre comme une soupe,
Le Fevre est bête et Saint-Dinant un fat10 ,
Et tous n’ont plus de pouvoir sur la troupe.

Faites la Cour à Monsieur de Berry
À son épouse, à Monsieur son beau-père.
C’est là qu’il faut s’adresser aujourd’hui :
D’Aumont s’en meurt, Nadal11 s’en désespère.

Adieu de Nesle12 , adieu cher Brossoré,
Ayez tous deux bien soin de notre fille.
Que le péché soit par elle abhorré.
M’en croirez-vous ? Mettez-la sous la grille.

Adieu, vous dis, comédiens du roi,
Priez Jésus que là-haut il me mette.
J’espère en lui, très fortement j’y crois.
J’ai renoncé, voilà ma scène faite.

  • 1Le Grand, comédien. (Castries)
  • 2M. d'Heudicourt, grand Louvetier. (Castries)
  • 3Brossoré, conseiller au Parlement. (Castries)
  • 4Fille de Samuel Bernard, mariée à Sagonne, Intendant de Berry, fils de Mansard. (Castries)
  • 5Quinault, comédien frère de la de Nesle, aimé de Mademoiselle de la Fare, fille du Cordon-beu Capitaine des gardes du corps de Monsieur Philippe, mariée à M. de la Fare son parent. Elle avait un laquais fort bien fait qu'on appelait Jasmin. (Castries)
  • 6Le marquis de Courcillon, fils du marquis Dangeau, amoureux de du Fresne, frère de la Nesle et comédien. (Castries)
  • 7Une autre sœur plus jeune, aussi comédienne. (Castries)
  • 8 Samuel Bernard prêta trois cent mille livres au duc d'AUmont lorsqu'il alla en ambassade en Angleterre, ce qui fit recevoir Quinault à la place de du Faïs et sa femme qui furent chassés. (Castries)
  • 9Les ducs de Tresmes, de la Tremoille et de Mottemart, premiers gentilhommes de la Chambre. (Castries)
  • 10 Messieurs le Fevre et saint-Dinant, trésoriers des menus plaisirs. (Castries)
  • 11L'abbé Nadal Poïse, attaché au duc d'Aumont. (Castries)
  • 12De Nesle, son mari comédien. (Castries)

Numéro
$5204


Année
1715 (Castries)




Références

Clairambault, F.Fr.12695, p.435-38 - Maurepas, F.Fr.12627, p.299-302 - Mazarine Castries  3981, p. 206-210