Première Gilbertine
Première Gilbertine
Toi qui, dans tes propres ministres
N’aperçois que des ennemis,
Contre eux, dans ces moments sinistres
Viens m’inspirer, sage Thémis,
Venge l’Église qu’on blasphème,
Fais que Gilbert, de Gilbert même
Déteste enfin les attentats.
Trop longtemps l’excès de son crime
Lui cache l’effroyable abîme
Que l’erreur creuse sous ses pas.
Au haut de la montagne sainte
S’élève une auguste cité
C’est dans sa glorieuse enceinte
Que réside la vérité.
Le Verbe immortel en est l’âme,
L’Esprit saint de ses feux l’enflamme,
Le Très Haut conduit ses projets,
Dans ses dogmes toujours égale
Toujours pur dans sa morale,
Toujours juste dans ses décrets.
Il faut pourtant, mais sur la terre,
Malheur à l’auteur de ces maux,
Il faut d’une éternelle guerre
Qu’elle soutienne les assauts
Guidé par le serpent antique
Le prestige au front fanatique,
L’hérésie aux sombres regards,
Le sophisme toujours prêt à nuire,
L’enfer qui voudrait la détruire
Sans cesse assiège ses remparts.
Après mille efforts inutiles,
Après mille horribles projets,
Quoi, dit Satan, ces murs fragiles
Résisteront à tous nos traits ?
Et nous souffrons cette infamie ?
Non, non, contre cette ennemie
Employons tout notre pouvoir
Unissons toutes nos cohortes
Et montrons enfin que nos portes
Contre elle peuvent prévaloir.
Il dit, la discorde barbare
Applaudissant d’un ris malin,
Part à l’instant et se prépare
A conduire un si grand dessein.
Devant elle marche la haine ;
La révolte à grands pas l’entraîne.
Dans ce sénat tumultueux
Jadis terreur de l’injustice,
Aujourd’hui coupable complice
Des excès les plus monstrueux.
Quelle troupe à ses lois fidèle
Court vers elle de toutes parts ?
Traître Titon, fougueux Pucelle,
Votre aspect charme ses regards.
Et vous, aveugles volontaires,
Jurisconsultes mercenaires,
Mortels ivres d’un faux savoir,
Servez bien sa rage infernale ;
C’est sur votre plume vénale
Qu’est fondé son plus grand espoir.
Ôtez au prince sa couronne ;
Créez des patrices nouveaux
A ces fiers assesseurs du trône
Dressez d’augustes tribunaux ;
Faites plus, malgré l’anathème,
Allez, sur vos pontifes mêmes
Prendre place dans le saint lieu
Et, bravant le courroux céleste,
Mettez le Code et le Digeste
Au-dessus de la loi de Dieu.
Toi, que ton ministère oblige
A relever de tels forfaits,
Gilbert, par quels affreux prestiges
Es-tu muet sur leurs excès ?
J’entends ton parti qui te nomme
Le soutien des droits du royaume,
Le vengeur de nos libertés,
Mais est-ce en approuvant leurs crimes
Que tu soutiens nos maximes
Et défends nos immunités ?
Me trompai-je ? Une nuit terrible
Attire une plus sombre nuit,
L’onde en fureur était paisible
Auprès de l’orage qui fuit.
Loin de punir leur insolence,
Gilbert prend même leur défense,
Gilbert veut être leur appui.
Quel sort aura le téméraire ?
Tous les pas qu’il osera faire
Sont autant de chutes pour lui.
Il parle. Ciel, quel assemblage
De chicane et d’obscurité !
Comment, d’un si confus langage
Percer l’embarras affecté ?
Artificieux préambules,
Raisonnements faux, ridicules,
Sophismes vains et captieux,
Fille du ténébreux Tartare,
L’erreur dans ce chaos bizarre,
L’erreur seule frappe ses yeux.
Triomphe donc, lâche imposture,
C’est toi qui dicte ses discours,
Vérité, de sa bouche impure
L’ingrat te bannit pour toujours.
Et vous, ministres de l’Église
Par la plus injuste entreprise,
Vos plus beaux droits vous sont ravis ;
Fuyez, redoutez sa colère,
Remplir votre saint ministère,
C’est mériter d’être proscrits.
Que dis-je ? du saint Évangile
Soutenez mieux la dignité.
Prélats, de ce nouveau Marcile
C’est trop souffrir l’impunité.
Confondez sa vaine arrogance,
Tonnez, frappez, trop de clémence
Ne fait qu’augmenter ses fureurs.
Vous devez au Ciel cet exemple.
Le fils de Dieu chassa du temple
De moins honteux profanateurs.
Eh quoi! le maître du tonnerre
Pour régner parmi les humains
Se serait choisi sur la terre
Une nation d'hommes saints,
Elle aurait ses lois, ses usages,
On y verrait dans tous les âges
Des membres, une tête, un corps,
Et cette Église ainsi construite
Ne serait cependant conduite
Que par d'invisibles ressorts1 .
Mais que me sert de le confondre ?
Nos maux n’en sont que plus aigris ;
Pour lui, tous les troubles de Londres
Se renouvellent dans Paris.
Avec une audace anglicane
Je vois un tribunal profane
S’établir juge de la foi,
Et par une indigne licence
Porter jusques à l’insolence
La révolte devant son Roi.
Poursuis, Gilbert, rends ta mémoire
Célèbre par tes attentats ;
Fais revivre l’horrible histoire
De nos anciens magistrats.
Digne héritier de leur audace,
Marche sans frayeur sur la trace
Et de Ferrier et de Dufour,
Et porte la persévérance
Jusqu’à redonner à la France
L’affreux spectacle de Du Bourg.
C’est en vain que tu te rassures
Sur le crédit de tes fauteurs.
Le Ciel pour venger tes injures
Trouve encore de vrais défenseurs.
Frappé d’une crainte servile,
Si le trop faible Vintimille
A ton appel semble mollir,
Ta chute n’en est pas moins prompte
Et rien ne lavera la honte
Dont la France a su te couvrir.
Formez mille vœux d’allégresse,
Peuples, vos désirs sont remplis,
Je vois la foudre vengeresse
Partir du trône de Louis.
Sensible à la clameur publique,
De son parlement fanatique
Il vient d’arrêter la fureur.
Tais-toi, Gilbert, un Roi si juste
Ne veut pas que son nom auguste
Serve de rempart à l’erreur.
- 1Ce couplet ne figure que dans Clairambault.
Clairambault, F.Fr.12705, p.19-27 - Maurepas, F.Fr.12633, p.209-16 -F.Fr.15146, p.401-14 - Arsenal 3128, f°250v-252v
Ces strophes véhémentes, dans la veine des Philippiques de Lagrange-Chancel, semblent viser l’arrêt du Parlement de Paris de 1730 faisant de la Bulle une “loi de l’Eglise et de l’Etat”.