Le pucelage donné
Le pucelage donné1
Or écoutez, petits et grands
Stratagème des plus plaisants
D’une actrice jeune et jolie
D’italienne Comédie
Dont l’amoureux tempérament
A bien contenté son amant.
C’est la fille de Thomassin,
Ce facétieux Arlequin.
Il tenait de trop près la belle
Qui, lasse enfin d’être pucelle,
A mis en usage un beau tour
Pour goûter les plaisirs d’amour.
Dans les coulisses, en secret,
Jeune galant lui en contait ;
Tous deux s’aimant avec tendresse
Prenaient avec beaucoup d’adresse
Baisers, attouchements joyeux,
Ne pouvant alors faire mieux.
Ils voulaient en venir au fait.
Difficile était ce projet
Car l’on soupçonnait la fillette
D’avoir conçu quelqu’amourette,
En sorte que plus que jamais
On l’examinait de fort près.
L’Amour, ce petit dieu malin
Leur fournit bientôt un dessein
Pour savoir avec avantage
Et triompher d’un pucelage
Qu’on réservait pour un mari
Dont le nom se doit taire ici.
Chez la belle sans nul éclat
Cette scène s’exécuta.
Ils avaient gagné la servante ;
Dans le logis pour sa parente
Mon galant s’introduisit
À la faveur d’un faux habit.
Toujours le papa, la maman,
Lui donnèrent le logement
Chez eux, n’ayant garde de croire
Qu’il arrivât pareille histoire.
Mais ce temps était suffisant
Pour accomplir un jeu charmant.
Nos amants mirent à profit
Ce temps qu’amour avait choisi
Pour pleinement y satisfaire
Comme bons enfants de Cythère.
La chambre où la belle couchait
À cette affaire convenait.
La servante attenant était
Avec laquelle on la croyait
Que devait coucher l’heureux drille.
Mais chaque fois avec la fille
D’agréables nuits il passa
Qu’aucun trouble ne traversa.
La première fois à minuit
Près de la belle il se rendit
Et la trouvant deshabillée
N’étant point encore couchée,
Lui-même se mit en état
De commencer un doux combat.
La place était digne d’assaut,
Devant, derrière, en bas, en haut,
Partout elle fut visitée
Auparavant d’être attaquée
Le milieu qu’il fallait percer
Était difficile à forcer.
La pucelle dessus le lit
Suffisamment se défendit ;
Enfin le galant eut la gloire
De remporter pleine victoire
Et fort avant il pénétra
Dans la place qu’il inonda.
Après de si charmants travaux
Il fallut prendre du repos ;
La jouvencelle toute nue
S’endormit encore bien émue
Entre les bras de son amant
Qui s’endormit pareillement.
L’amour les réveilla matin
Pour reprendre son jeu badin ;
De même les autres nuités ;
Les délices furent passés,
Ils se quittèrent à regret
Voulant se rejoindre en secret.
Pères, mères, c’est vainement
Que vous veillez exactement
Sur fille qui se sent en âge
De pratiquer tel badinage,
Surtout actrice qui s’instruit
Des ruses qu’au théâtre on dit.
- 1Le pucelage donné. Aventure comique arrivée à la petite Thomassin de la Comédie-Italienne
Clairambault, F.Fr.12700, p.312-14 - Maurepas, F.Fr.12632, p.172-76