La mule du pape. Conte
La mule du pape
Conte 1736
Frères très chers, on dit dans saint Mathieu
Qu’un jour le Diable emporta le bon Dieu
Sur la montagne et là lui dit, Beau sire,
Vois-tu ces mers, vois-tu ce vaste empire,
Ce nouveau monde inconnu jusqu’ici,
Rome la Grande et sa magnificence ?
Je te ferai maître de tout ceci
Si tu me viens faire la révérence.
Notre Seigneur, ayant un peu rêvé,
Dit au démon, que quoiqu’en apparence
Avantageux le marché fut trouvé,
Il ne le pourrait faire en conscience,
Ayant toujours ouï dire en son enfance
Qu’étant si riche on fait mal son salut.
Un temps après, notre ami Belzébuth
Alla dans Rome. Or c’était l’heureux âge
Où Rome était fourmilière d’élus.
Le pape était un pauvre personnage,
Pasteur de gens, évêque et rien de plus.
L’esprit malin s’en va droit au Saint-Père
Dans son taudis, l’aborde et lui dit, Frère,
Si tu voulais tâter de la grandeur…
Si j’en voulais ! Oui, pardieu, Monseigneur.
Marché fut fait, et alla mon pontife
Aux pieds du Diable et lui baisant la griffe,
Le farfadet, d’un air de sénateur,
Lui met au front une triple couronne.
Prenez, dit-il, ce que Satan vous donne,
Servez-le bien, vous aurez sa faveur.
Or, papegai, voilà l’unique source
De tous vos biens, comme savez et pour ce
Que le Saint-Père avait en ce tracas
Baisé l’ergot de Monsieur Satanas
Que l’on baisa la mule du Saint-Père
Que s’il advient que ces petits vers-ci
Passent es mains de quelque galant homme,
C’est bien raison qui’l ait quelque souci
De les cacher s’il fait voyage à Rome.
Clairambault, F.Fr.12706, p.75-76 -Maurepas, F.Fr.12634, p.45-46 - F.Fr.13661, f°283r-283v - F.Fr.15148, p.250-53 - BHVP, MS 659, p.22-24 - Lettres de M. de V***, p.141-42