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Requête à Mgr l’archevêque de Paris, touchant son ordonnance du 29 septembre 1729



Requête à Mgr l’archevêque de Paris, touchant son ordonnance du 29 septembre 1729
À vous, Monseigneur le prélat,
Dussai-je ne prendre qu’un rat
comme un capucin à la quête,
Je présente une humble requête
Pour Votre Grandeur supplier
De quelques notes publier
Sur ces mots de votre ordonnance
Que n’entend pas mon ignorance.
Le titre m’a fort étonné.
Du Ciel vous serait-il donné ?
L’apôtre qui nous endoctrine
Sur la foi ne veut qu’on domine1 .
Du dominant ce titre tient.
À l’instruction ne convient.
Aussi dit-on vaille que vaille
Que c’est un début de Versailles.
Mais dans ce lieu le Saint Esprit,
Toujours du tumulte proscrit,
a-t-il bien pu se faire entendre ?
Non, je ne saurais le comprendre.
Autre embarras du scrupuleux,
Petit esprit et pointilleux :
Vous ne nous parlez que d’alarmes
Pour nous faire prendre les armes.
Qui sont ces pestes d’ennemis
Qui vous ont en alarme mis ?
Des curés, des gens à miracle.
Mais ces gens vous sont des obstacles
À la promesse d’un chapeau.
Criez donc haut : ah, qu’il est beau !
Or, revenons à vos paroles,
Car ce ne sont discours frivoles.
Antoine, il nous faut imiter.
C’est à bon marché nous quitter.
L’imiterai-je en sa surprise ?
Mais sur lui la faute on a mise.
Aussitôt pris il recula.
C’en est assez, restons-en là.
Suivez vous-même ses exemples
En visitant nos sacrés temples.
Dites-nous, comme lui, tout bas
Que vous avez fait de faux pas ;
Mandez aux prélats dans les chaînes
Que vous rétractez vos fredaines ;
Donnez-en acte à vos curés,
Et plus d’alarmes vous n’aurez.
Vos pieux ecclésiastiques,
Savants zélés et politiques,
Vous suivront dans votre retour.
Leur foi n’est qu’une foi de cour,
Ce n’est qu’une foi de chapitre
Qui changera comme la mitre.
C’est donc en vain qu’on a cité
Au tribunal de vérité
La bulle de notre Saint-Père.
En vain on la dit adversaire
D’Augustin, Prosper et Thomas ;
Non, Monseigneur, cela n’est pas.
Elle est conforme à la morale
De Jésus-Christ ; c’est chose égale,
C’est l’éloge des Livres Saints,
De ce qu’on doit aux souverains.
Elle ne dit rien de Moïse
Que ce qu’en avait dit l’Église.
En un mot c’est la Bulle d’or.
Vous le croyez ? J’en doute encore.
Ainsi l’on en jase à merveille
Assis à l’ombre de la treille.
Mais sans trop entrer dans ce fait,
Discutons tous deux, s’il vous plaît,
La preuve de vos paradoxes,
Qui nous rendra tous orthodoxes.
C’est nous que vous interrogez,
En quoi point vous ne dérogez
Au titre d’Église enseignante.
Écoutons, la chose est plaisante :
De belles exclamations
Méritent nos attentions.
Dans les différents diocèses
Où le décret est accepté,
Pour enseigner la vérité
N’avez-vous point toutes vos aises ?
Oui, non, tout est un même plat
Selon que jésuite et prélat
Sont plus ou moins unis ensemble
Pour régler ce qui bon leur semble.
À Marseille, devant vos yeux,
On brûlait les livres pieux ;
On donnait pour foi la balance
De Julien, dont l’extravagance
Fit embrasser ce parti-là.
Avez-vous jamais dit hola ?
Nous vous en citerons centaine
Si nous reprenons notre haleine,
Dont l’un dit : que l’amour de Dieu
N’est plus de saison dans le lieu
Où la Bulle a toute sa force.
Ne nous donnez donc point d’amorce.
Un gros péché l’autre nous fait,
Et pareil au plus grand forfait,
D’oser composer sa lecture.
De romans ? Non de l’Écriture.
Mais vous qui raison demandez
À votre tour, ça, répondez.
Ceux qui de la Bulle au concile
Appellent avec plus de bile
Ont-il condamné récemment
Des dogmes crus avant Clément ?
A-t-on retranché du Symbole ?
Parlons ici sans hyperbole.
Vous-même, ne croyez-vous pas
Tout ce que croient les prélats
Qui nous démontrent que la Bulle
Est un ouvrage ridicule.
Donc s’il suffit pour accepter
Qu’on entende partout chanter
Même dogme et même doctrine,
Ne faisons point ici la mine.
Il suffit pour n’accepter pas
Qu’on dise partout, haut et bas,
Qu’en rejetant la loi nouvelle
On demeure au dogme fidèle.
N’avouez-vous pas dans le cœur
Qu’on ne débite aucune erreur
En voulant pour juge l’Église
Contre du pape la surprise ?
N’est-ce pas là conformité
Entre soumis et révolté
De vérité et de croyance
Que vous citez à toute outrance.
Il ne s’agit donc pas de loi
Entre vous, Monseigneur, et moi.
Or la foi sauve. Peut-on dire,
Sans vouloir exciter à rire,
Que je dois par religion
À la Bulle soumission ?
Tel est pourtant votre langage.
Pour vous, de bon cœur j’en enrage,
Sachant qu’on est très bon chrétien
En croyant tout et faisant bien.
Ne quittons pas votre sophisme.
Il nous fournit un syllogisme
Qu’on peut contre vous rétorquer.
Non, ce n’est pas pour s’en moquer.
Si chacun même foi professe,
On ne doit pas, je le confesse,
À votre Bulle un grand respect.
Ce décret est au moins suspect,
Puisqu’un très grand nombre l’accuse
Et que l’autre partie l’excuse
N’osant le donner à découvert.
La réplique vous prend sans vert.
Peut-on sur un doute
Ne craindre pas pour la déroute
Dont le saint dogme est menacé.
Pour moi, j’en ai le sang glacé !
Mais voyons le reste des preuves.
Je les crois certes toutes neuves,
Le catéchisme a-t-on changé ?
Le rituel est-il mitigé ?
A-t-on pris dans quelque bricole
Les opinions de l’École ?
Dira-t-on des prédicateurs
Qu’ils sont aujourd’hui des menteurs ?
Nous vous renvoyons à Marseille.
Notre réponse est sans pareille.
N’y fait-on point de changement
Par tant de nouveaux mandements ?
Dans les écoles de province
Que n’a pas fait le nom du prince !
Les plus savants en sont chassés
Par tous les ignares placés,
Gens qui n’ont pour toute lumière
Que d’avoir lu dans le bullaire.
Le mal se fait sentir chez vous
Le peuple en gémit comme nous
Voilà le train qu’on suit en France :
On veut établir l’ignorance.
Aussi bientôt ne voit-on plus
Que molinisme et ses vertus.
Si c’est là faire des conquêtes
N’est-ce pas nous traiter en bêtes ?
Quant à nos grands prédicateurs
Sans forme et sans accusateurs
Ne leur ferme-t-on pas la bouche ?
Pourquoi donc dire qu’on y touche ?
Mais ce sont gens intéressés
À séduire des insensés
Pour en faire autant de complices
De leur révolte et de leurs vices.
Parlez-vous sérieusement ?
Je n’en crois rien assurément
Quel intérêt ont-ils en vue
À moins qu’ils n’aient tous la berlue ?
Exil, la fuite ou la prison,
C’est ce qu’on peut avoir de bon.
En vain les vertus, les sciences
Demanderaient des récompenses.
Il faut partout franchir le pas
Pour être estimé des prélats.
De tous ces faits je dois conclure,
Ce n’est donc pas à l’aventure
Que le Saint Esprit les permet.
Il nous déclare ainsi tout net :
La Bulle n’est point mon ouvrage.
Y connaissez-vous mon langage ?
Y connaissez-vous ma douceur ?
L’Enfer ferait-il plus d’horreur ?
La vertu partout méprisée,
L’impiété récompensée,
Duplicité, vexation,
Dans tout corps persécution,
Le sacré soumis au profane,
C’est la liberté gallicane.
À suivre la foi nous pensons.
Donnez-nous-en d’autres leçons.
Votre méthode est incongrue
Pour l’expliquer, ou je suis grue.
Le pape n’a donc pas médit
D’un certain sentiment qui dit
Que jamais l’action humaine
Sans Dieu pour fin ne sera saine
Qu’on doit à l’Etre souverain
Le rapport de tout acte humain
Et que c’est l’unique visée.
Qu’il faut avoir dans sa pensée.
Mais ce n’est qu’un pur sentiment,
Qu’une opinion seulement.
On voit que par miséricorde
Vous la délivrez de la corde
Que commençaient à lui filer
Les faiseurs d’écrits à brûler.
Donc la vérité la plus sûre
A lieu de craindre la censure.
On n’oserait avec d’Aquin
En faire un précepte divin.
Aujourd’hui noter le contraire,
Ce serait être téméraire.
Vivent les prélats de nos jours !
Les précédents étaient des ours.
Malgré l’aveu que vous nous faites
Je crains cependant les défaites.
Qu’entendez-vous par le rapport ?
Le faut-il vivant ou bien mort ?
Je m’explique en peu de paroles
Fuyant les ruses de l’École
Pour pénétrer jusqu’au vif.
N’est-ce point l’interprétatif ?
Vos doubles sens me désespèrent,
Je crains que le dogme ils n’altèrent,
Je crains tout de votre conseil
Qui peut-être a mis l’appareil
Droit à côté de nos blessures
Pour nous préparer des injures.
Prenez donc le distinguo
Ou nous tirerons un ergo.
Autant je n’oserais vous dire
Du regret que la crainte m’inspire
Vous y voulez l’amour divin.
Ce n’est pourtant pas là le fin.
L’ennemi de la pénitence
Feint avec nous-même une sentence.
Êtes-vous pour la charité ?
Je le crois de votre équité
Car vous nous citez l’ordonnance
Que donna le clergé de France.
Mais pour cette loi Loyola
Jamais la tête ne branla ;
À Rome il met toute sa gloire,
Ce qui lui fait chanter victoire
Et tenant la Bulle à la main
Il se moque de votre frein,
Et quelquefois par complaisance
Il accorde sur votre instance
La nécessité d’un amour.
Ce n’est que pour se faire jour
À soutenir, même avec plainte,
Qu’un esclave aime dans sa crainte
Son Dieu, non sa commodité.
N’est-ce pas là cupidité ?
C’eût donc été le parti sage
De lui fermer bien tout passage,
De dire, sans serrer les dents,
Que ses amours sont impudents,
Qu’à Dieu l’on doit tendre en droiture
Et non pas à la créature.
Vous annoncerez en tout lieu
L’obligation d’aimer Dieu
Prescrite dans la loi nouvelle
Comme dictait la naturelle.
Julien en disait bien autant,
Mais Augustin le réfutant
Ne le tenait pas catholique.
Pour un aveu plus authentique
Parlez-nous donc bien clairement
De ce divin commandement.
Fait-il par dessus toute chose
Aimer Dieu ? voilà votre dose.
Le faut-il en toute action
Pour qu’elle ait sa perfection ?
Son amour n’a-t-il aucun vice ?
Fuyons les détours de malice,
Vous honorez la charité
En prêchant sa nécessité
Pour le salut de tout fidèle.
Venons au point de la querelle
Sur l’habitu de Molina.
Jamais démenti ne donna,
D’attaquer il n’eut point envie
La charité qui sanctifie.
Ses enfants parlent comme vous
Leurs sentiments sont-ils moins fous ?
Il faut donc s’explique sur l’acte
Pour avec eux briser tout pacte.
Mais c’est dégrader les vertus
Que de leur demander en sus
De charité quelque partie
Qui seule leur donne la vie.
Ayez la bonté, Monseigneur,
De me tirer de mon erreur.
Sans charité je croirais morte
Des vertus toute la cohorte.
Dès l’enfance on me l’apprenait,
Grande assurance on m’en donnait,
Croyant qu’un mort ne peut rien faire
Ni mériter aucun salaire.
Je disais donc point de vertus
Où cet amour n’opère plus.
Bon pour notre ancien catéchisme
Qui nous disait avant le schisme
Jamais vertu n’opérera
Que quand l’amour commencera.
Mais grâces aux lois décisives
Les vertus mortes seront vives ;
Elles opéreront enfin
Sans fruit, sans amour et sans fin.
Peste du grand docteur d’Hippone
Avec son beau latin de prône
Qui de Dieu disait errando
Nec colitur nisi amando.
Vous prêchez la foi bien plus pure,
La religion de nature,
Le divin culte sans amour.
Souffrez que je prêche à mon tour.
Un corps sans âme n’est plus homme,
C’est un cadavre même à Rome
Et jamais sage ne dira
Qu’un corps sans âme homme fera.
La religion est sensée
De corps et d’âme composée.
Vous voyez son corps, Monseigneur,
L’amour en est l’âme et le cœur,
Ainsi parlent tous les saints pères.
Craignez au moins tant d’adversaires
Ce n’est donc point religion
Ou manque d’amour l’onction,
C’est un corps ! Mais un corps sans forme
Ce n’est qu’une matière informe
Partant ce serait vision
De la croire religion.
Parlons maintenant de la peine.
Votre crainte n’est-elle pas vaine ?
Mais sans amour, puis-je espérer ?
Non, certes, c’est désespérer.
Sans amour aucune espérance.
C’est saint Augustin qui l’avance.
Sans espérance, désespoir.
Le contraire faites-nous voir.
Craindre l’Enfer n’est pas un crime
Pourvu que le Ciel on estime ;
Mais quand on ne craint que le feu,
Le Ciel on estime bien peu.
Il faut donc que Dieu je révère
Comme un aimable et juste père
Qui craint sans amour deficit
Or qui défaut n’est sans délit
Pour le prouver faut-il un tome ?
Ce fut toujours un axiome ;
Aucun a-t-il jamais prêché
Que la crainte a pour le péché
Une affection actuelle
C’est assez qu’une habituelle
Au désir conditionne.
Devez-vous en être étonné ?
Le cardinal qui vous protège
Entend mieux que vous le manège.
Si nous suivons cet enseignant
Votre ordonnance est à néant.
La crainte purement servile
Est, selon lui, très inhabile
À nos procurer le salut
Et renferme (ce que ce mot pue)
De l’affection pour le vice
Faites-le donc entrer en lice
Car ici point d’acception
Ou craignez la dérision.
Or que veut dire cet habile
Par crainte purement servile ?
Tout crainte sans charité.
Ne soyez donc plus irrité,
La crainte n’est pas libérale
Dès qu’elle n’est pas filiale
Et pure servile est en tout lieu
Où n’est aucun amour de Dieu
Ainsi Quesnel et sa science
Sont d’accord avec l’Eminence
Qui peut nier Dieu tout-puissant.
C’est pourtant un dogme naissant
Il tient en main le cœur de l’homme
Pour le tourner comme une pomme.
Assermet le nie hardiment,
Soissons le soutient hautement.
Tous deux le prouvent par la Bulle.
La preuve est fausse et ridicule.
Mais fausse tant qu’il vous plaira
Il faut donc savoir qui sera
Ou de vous ou d’eux infaillible.
Car la méprise en est terrible.
Or comment serai-je calmé
Sans le tribunal réclamé.
Du moins vous jugez ces blasphèmes
Indignes d’autant d’anathèmes.
Si vous ne les approuvez pas
En entendant tant de fracas
Que ne lancez-vous la censure
Contre ces monstres de nature ?
Pouvez-vous sans suspicion
Dire que la précaution
N’est utile ni nécessaire ?
Laissez-la donc, c’est votre affaire.
Pour nous, en voyant ces assauts
À Dieu nous chanterons tout haut
Ces beaux vers d’un savant poète
Paraphrasant le roi prophète
Quelques blasphémateurs, oppresseurs d’innocents,
À qui l’excès d’orgueil a fait perdre le sens
De profanes discours ta puissance rabaissent
…………………………… mais la naïveté
Dont même au berceau les enfants confessent
Clôt-elle pas la bouche à leur impiété ?
Plus n’en disait le bon Quesnel.
Était-il donc si criminel
Pour mériter la flétrissure ?
C’est de l’onguent pour la brûlure
En Dieu prêcher la volonté
Qui fait tout avec liberté
Qui prépare la récompense
Et la donne avec abondance
Qui ne veut que des seuls élus
Le salut, dit Jansénius.
Mais cette volonté divine
Qui des réprouvés prédestine
En leur désirant le salut
Que jamais accorder ne put,
Où la mettez-vous, je vous prie ?
Est-ce en Dieu ? Non, je me récrie.
Il ne serait plus tout-puissant.
C’est donc dans un signe passant
Dans la loi sainte et ses menaces.
Nous la croyons, rendez-en grâce.
Votre foi sur les saints secours
Est la foi qu’on prêchait à Tours ;
Ce n’est pas la foi de Provence
Où l’ancienne erreur recommence.
On croit comme vous à Paris.
C’est Quesnel pur, je vous le dis.
Mais afin que rien ne nous choque,
Ne nous donnez point d’équivoque.
Quand on fait, on a le pouvoir
De ne pas faire, ou de vouloir ;
Au sens divisé le contraire.
Ainsi nous tirons-nous d’affaire.
Biffez donc votre objection,
C’est une pure fiction ;
Ou bien rendez mieux votre thème
Quand vous exposez un système.
Si Moïse ne donnait pas
La grâce et ses divins appas,
Pourquoi frappez-vous de censure
Des propositions moins dures ?
C’est par les deux législateurs,
Non par ce qu’ils font dans nos cœurs
Que vous trouvez de la distance
Entre l’une et l’autre alliance.
Donc le juif comme le chrétien
Aurait du salut le soutien ?
La grâce était aussi commune
Que l’est la clarté de la lune,
Ou du soleil si vous voulez.
Le faut-il croire ainsi ? Parlez !
Mais dira-t-on des seuls prophètes
Qu’ils faisaient des Œuvres parfaites ?
Non. Dans ce peuple étaient des saints
Autres que les parfaits humains
Dont parle la Sainte Écriture.
Erreur de vouloir en conclure
Contre toute l’antiquité
Et l’éternelle vérité
Que chaque juif avait la grâce.
C’est démentir saint Paul en face.
Pourrait-on sans témérité
(je croyais lire témérité) impiété
dire que la foi du Messie
ne conduit pas seule à la vie ?
Ce n’st donc que témérité
D’annoncer avec liberté
Que Jésus-Christ et ses mystères
Ne sont pas fort nécessaires.
Or mesurons ici les mots.
Ce fait n’est pas hors de propos.
Qui sont les dogmes téméraires ?
Des sentiments qu’on ne sait guère,
Qui souffrent contradiction.
Ce peut être prévention
Mais de la Chine les apôtres
N’en veulent pas enseigner d’autres
Et si quelqu’un les contredit
Chez les Chinois on l’interdit.
On n’est donc pas là téméraire.
Montrez que j’aurais dû me taire.
Venons au dogme intéressant,
La foi va toujours en croissant
C’est un attentat de rebelle
De prétendre qu’un infidèle
Pèche en toutes ses actions.
Ce sont fausses prétentions.
Clément l’a dit ; que dit l’apôtre ?
J’aime mieux le suivre qu’un autre,
Puisque c’est la divinité
Qui soutient son autorité.
Sans foi, nous dit cet infaillible
Plaise à Dieu, c’est chose impossible
Saint Agustin en a conclu
Que même vêtir un nu,
Que d’assister un misérable,
Recevoir un pauvre à sa table
N’est pas exempt de tout péché
À cause d’un poison caché.
Mais ceux qui sont hors de l’Église
Peut-on juger sans entreprise ?
Saint Paul le défend aux chrétiens.
Laissons donc là tous ces païens
Décider dans leur synagogue
Si le pape est leur pédagogue.
Que sert-il de sonder leur sort
Si Dieu les tire de la mort,
Si par sa grâce il les appelle,
S’il convertit leur cœur rebelle ?
Baptisés sans confession,
Ils auront l’absolution.
Ce sont donc choses inutiles
D’examiner leurs peccadilles.
Occupons-nous d’une autre erreur
Qui pourrait vous avoir fait peur.
Vous embarrassez nos critiques
Sur les grâces des hérétiques
Qui précèdent le don de la foi.
Si par ce don, éclairez-moi,
Vous n’entendez que l’habitude
Et sur ce, d’accord avec vous.
Ne nous traitez donc point de fous
Car quand on est d’accord ensemble
On doit se souffrir, ce me semble ;
Un grand évêque, comme un roi,
Peut se tromper ; je vous en crois.
Je n’ai jamais lu dans ma Bible
Qu’un évêque soit infaillible
Il veut d’un coup trop indécent
Frapper le juste et l’innocent
Mais pour le corps de vos confrères,
Oublions toutes vos misères
Plus impeccables que les saints
Ils ne souillent jamais leurs mains
Toujours armés de la justice
Ils ne font la guerre qu’au vice.
S’ils ont jadis persécuté,
C’est qu’on l’avait bien mérité.
Saint Hilaire et saint Anathase
De la foi n’étaient pas la base ;
C’étaient les libères, c’est constant,
Approuvés du corps enseignant
Partant, recevons la formule ;
C’était tout comme ici la Bulle.
Que dis-je ? Le temps a changé.
L’honneur des prélats est vengé.
Aujourd’hui s’ils lancent le foudre
C’est pour des monstres mettre en poudre
Pourrait-on en être surpris
Après les détours qu’ils ont pris
Dans l’instruction pastorale
Des Quarante. C’est de morale
Le chef-d'œuvre le plus parfait
Que l’injustice ait jamais fait.
Quesnel étant encore en vie
A démontré la calomnie.
Mais vous cherchez la vérité
Et rien plus dans la cité.
Voulez-vous donc nous en convaincre
Sans vous efforcer à nous vaincre
Par crainte et lettre de cachet
Qui n’ont pas toujours leur effet ?
Faites-nous un bon formulaire,
De foi s’entend, pure et sincère.
N’y brouillez aucun fait, ni mots
Inventés pour tromper les sots
Et nous signerons sans feintise
Tout ce que croit la Sainte Église
Si l’excommunication
Ne fait crier comme un oison
Même l’injuste et sacrilège
C’est pour elle un grand privilège
S’il faut surprendre son devoir
En certains cas pour paix avoir
Sa crainte avant d’être lancée
Ne doit troubler notre pensée !
J’aime à présumer des prélats
Qu’ils mettront enfin armes bas.
C’est le plus sûr pour nos scrupules
Car nous ne sommes pas des mules,
Mais non content de menacer,
Si mon prélat vient à lancer
Ce foudre qui sans droit m’écrase,
Je pourrais dire avec Gélase
Qu’il ne faut avoir de souci.
Pape il était, Clément aussi.
Parlons des têts couronnées.
À la nôtre, longues années.
Selon vous, le décret romain
N’empêche pas qu’au souverain
On ne rende un fidèl hommage ?
J’aurais souhaité davantage,
Car pour cette fidélité,
Ce n’est pas la difficulté
Que formait l’humble saint Grégoire
Dont on veut fêter la mémoire.
Mais si des rois sont déposés
Par des papes malavisés
Et tous leurs sujets de parjure
Déclarés libres par censure,
Les rois restent-ils souverains ?
Et doit-on leur prêter les mains ?
C’est le point fixe de l’affaire
Qu’a voulu juger le Saint Père
Avec sa Constitution,
Sans aucune explication
Qui nous accuse d’hérésie
Digne du feu de l’Italie.
Pourquoi donc n’avez-vous rien dit ?
N’est-ce pas qu’à Rome on travaille
À faire un beau chapeau de paille.
Vous demandez qu’un directeur
Ne soit ni lâche, ni flatteur,
S’il nous diffère, qu’il imite
Du grand saint Charles la conduite ;
Vous lui proposez du clergé,
Les statuts qu’on n’a pas changé,
Quesnel n’a pas dit autre chose.
Pourquoi donc censurer sa glose ?
Ainsi c’est feindre d’accepter
Le dogme qu’il faut rejeter.
N’est-ce pas dire de la Bulle
Que sa décision est nulle !
C'est accepter, n’accepter pas,
Croire à la mode des prélats ;
C’est montrer qu’on n’est pas sincère
À se moquer du Très Saint Père.
Nous lisons les livres sacrés ;
Il est permis, vous l’assurez.
À Rome on prêche le contraire.
Vous, Monseigneur, les laissez faire.
Est-ce à cause que Mahomet
Pareil commandement a fait !
Ce trait par où l’on se ressemble
Fait que pour nos censeurs je tremble.
Mais par un précepte nouveau
Doit-on imposer ce fardeau
À ceux qui n’en font bon usage ?
La règle ne serait pas sage ;
Si Quesnel l’avait jamais dit
Je répondrais qu’il est maudit ;
Ce docteur n’est donc qu’un prétexte
Pour n’épargner pas un bon texte.
On pourrait, selon vos desseins,
Condamner l’Église et les saints.
C’est donc à tort qu’on nous ordonne,
Et sans en excepter personne,
De communier tous les ans,
Diront censeurs vous imitant.
Il fallait une loi bénigne
Qui pût en excepter l’indigne.
L’Église a pourtant, malgré vous,
Fait un commandement à tous
Pour m’apprendre que c’est mon vice
Qui m’interdit de mon office.
Ainsi, dans le livre divin
Je dois lire, soir et matin.
Si j’en mérite une défense,
C’est mon péché qui me dispense.
Ici finit mon supplément
À votre éclairé mandement.
Elle est, prélat, votre doctrine.
Vous voyez ce qui m’y chagrine :
Injustice et mauvaise foi.
Est-elle donc d’un bon aloi ?
Quant au reste de votre ouvrage,
Le grand cardinal, homme sage,
À qui vous avez succédé,
Avait d’un pareil procédé
Condamné l’excès d’ignorance
Et de fausseté par avance.
Partant, plaise à Votre Grandeur
S’expliquer sans aucune aigreur
Sur ces difficultés précises
Et corriger toute méprise.
Fin

C. à Paris, ce 3 octobre 1730

  • 1 Ce n’est pas que nous dominions sur votre foi 2. Cor.1, &7 (F.Fr.12700)

Numéro
$4743


Année
1730 octobre




Références

Clairambault, F.Fr.12700, p.105-31 -Maurepas, F.Fr.12632, p.95-122 -  F.Fr.10475, f°279r-297r - F.Fr.15144, p.1-52


Notes

Texte long
Totalement délirant. On devine qu’il s’agit d’un dialogue entre l’auteur et l’archevêque de Paris, mais rien ne sépare les les paroles des protagonistes. Au reste, cela n’aurait guère amélioré la compréhension de cette interminable production d’un “fou théologique” (comme on parle de fous littéraires). C'est le même qui a commis l'Onguent pour la brûlure, l'expression étant ici reprise au cours du texte.