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Vers sur les affaires du temps

          Vers sur les affaires du temps

Qu’avez-vous ? D’où vous vient cet air triste et sévère ?

Avez-vous donc fait vœu désormais de vous taire ?

Vous qu’une longue étude, et des arts, et des mœurs,

A fait du genre humain pénétrer dans les cœurs,

Qui connaissez les lois divines et civiles,

Vous qu’on estime tant dans les plus grandes villes,

Parlez, et de ces temps en sottises féconds,

Donnez aux nations d’instructives leçons.

Me conseillez-vous donc, mon cher ami, qu’à mon âge

J’aille encore essayer de rendre l’homme sage ?

Sur le bord du tombeau, de douleurs accablé,

Succombant sous les ans, du monde fatigué,

Tandis que la bêtise et que la vaine gloire

Des plus grands des humains flétrissent la mémoire

Et que le seul soutien de la religion,

De vertu a changé en superstition ?

Voudriez-vous que j’allasse au clergé de France

Parler de dureté, d’orgueil et d’ignorance,

Le faire souvenir qu’il n’y a qu’un seul Dieu

Et qu’il est faux qu’un pape ait seul les clefs des cieux,

Des clefs d’or pour ouvrir avec certain grimoire

Les portes de l’Enfer, du Ciel, du Purgatoire,

Des clefs qu’on ne forgea qu’au siècle des dévots

Et dont on ne se sert que pour voler les sots ?

De la religion le pouvoir tyrannique

D’un saint homme souvent on fait un ermite

Et le prêtre à genoux, en haut levant les mains,

Sacrifie au démon en invoquant les saints.

De la faiblesse humaine en arbitre suprême

Il juge des défauts en dépit du Ciel même

Et sans considérer qu’il n’est qu’un vil mortel

D’un seul brin de farine il fait un Dieu réel.

Avec pompe il l’avale et le peuple crédule

Adore encore ce Dieu dans l’infâme cellule.

C’est ainsi qu’autrefois l’oracle d’Apollon

Faisait des chants heureux un styx Achéron

Et que sur un trépied la sibylle d’Ephèse

Du sort du genre humain disposait à son aise.

On ne sacrifiait pourtant point dans ces temps

Que vaches ou taureaux ou des agneaux bêlants.

L’homme ne s’était point encore mis en tête

De sacrifier Dieu en guise d’une bête.

Mais depuis que la peur des limbes l’a saisi,

Il voudrait avec Dieu manger le Diable aussi.

Le farouche animal deviendrait indomptable

Si la religion n’était épouvantable

Et si dans tout pays la superstition

N’arrêtait les ressorts de son ambition.

Né dans les préjugés des lois de sa patrie,

Il s’accoutume à tout, même à l’idolâtrie.

Il craint de découvrir l’affreuse vérité.

Laissons-le tel qu’il est et tel qu’il a été ;

Il ne veut point savoir ce qui le désespère.

Aveugle, il ne se plaît qu’au mensonge, au mystère,

Et si pour le conduire il le faut éblouir,

Pour le réduire aussi il le faut appauvrir.

L’humilité toujours marche après l’indigence

Et l’inhumanité auprès de l’opulence.

La paresse, l’orgueil, la sotte vanité

Suivent au grand galop un carrosse équipé.

L’Église même, altière et richement vêtue,

Oublie sans remords d’où elle est descendue.

Au milieu des festins noyant ses pleurs chrétiens,

Ferme son cœur aux pauvres et n’aspire qu’aux biens.

Sous un froc noir ou blanc, la piété gaillarde

Montre à tous les passants une face paillarde ;

La fierté de l’évêque imite l’immortel

Et l’impureté suit le chanoine à l’autel ;

De l’amour du Très-Haut la dévote enflammée

N’a de soulagement qu’à être confessée,

Et si l’aspersion ne lui touche le cœur,

Elle change bientôt de confesseur.

 

C’est ainsi que partout on ne voit qu’infamie,

Qu’ignorance, que fraude, orgueil, hypocrisie,

Que superstition, mensonge, entêtement,

Et des prêtres qui font la pluie et le beau temps.

Numéro
$4673


Année
1753 octobre




Références

F.Fr.10479, f°276-77 - NAF.9184, p.452-53 - Arsenal 2964, f°180-81