Sans titre
Vers satiriques sur le Roi
Qu’aveuglé par l’éclat d’un riche diadème
L’homme aspire en secret à la grandeur suprême,
Qu’il coure avidement après un faux honneur
Et que dans les plaisirs il fixe son bonheur,
Je connais de la Cour la pompe mensongère ;
Le solide bonheur a seul droit de me plaire
Et j’aime mieux mon sort et mon obscurité
Que la grandeur des rois et que leur dignité.
Combien de qualités pour porter la couronne
Et que de souverains sont indignes du trône !
Vous, dont l’encens flatteur empoisonne nos rois,
Ministres, c’est à vous que j’adresse ma voix.
Avez-vous oublié notre état déplorable ?
Suivrez-vous de Fleury le système exécrable ?
Avez-vous hérité de ses noires fureurs
Et verrons-nous toujours de nouvelles horreurs ?
N’êtes-vous donc point las de trahir votre maître
Et le sang des Bourbons ne doit-il pas renaître ?
Ingrats, que tous les jours il comble de bienfaits,
Ne rougissez-vous point de vos honteux forfaits ?
Que dirons nos neveux ? Quoi ! c’est là ce monarque
Qu’on sauva tant de fois des ciseaux de la parque ?
Quoi ! c’est là de nos rois le modèle achevé ?
Hélas, il l’eût été, mais on l’a dépravé.
Fleury, c’est ton ouvrage, oui, tes lâches complices
Étouffaient ses vertus pour lui donner des vices.
On t’a vu recourir aux détours les plus bas ;
On t’a vu mettre à prix le sang de nos soldats ;
Sous ton règne on a vu nos villes opprimées.
Ton bras seul a détruit nos plus belles armées.
Prague, vous le savez, de dessus vos remparts
Vous avez vu souvent nos bataillons épars,
Forcés de ralentir leur ardeur généreuse,
Implorer le secours d’une fuite honteuse.
Nous avons vu souvent nos chefs épouvantés
Céder aux ennemis les lys ensanglantés.
Un seul homme restait1 ; ses conseils salutaires
Pouvaient en peu de temps réparer nos misères.
On l’exila. La France et ses enfants aigris
L’ont en vain rappelé ; on fut sourd à leurs cris.
On vit longtemps gémir la plaintive innocence.
Le Ciel, enfin lassé signala sa vengeance.
Le cardinal mourut, beaucoup moins regretté
Que pendant qu’il vivait il était redouté.
Louis devait alors dessiller sa paupière
Et commencer en roi sa nouvelle carrière
Il pouvait régner seul ; aussitôt des flatteurs
Environnent Louis, s’érigent en tuteurs ;
La Discorde revient ; sous son fatal auspice,
On sème impunément le crime et l’injustice.
Louis pendant ce temps ignore tous nos maux.
On grossit à ses yeux nos frivoles travaux ;
Le courtisan fardé lui dit que l’abondance
Comme au sein de la paix se répand dans la France ;
On lui peint ses soldats de lauriers couronnés
Et ses fiers ennemis à ses pieds prosternés ;
On s’occupe à chanter ses rapides conquêtes
On se livre au plaisir ; on célèbre des fêtes ;
Sur le trône français on fait régner l’amour.
La fureur du théâtre assassine la Cour ;
Les palais de nos rois, jadis si redoutables,
Perdent tout leur éclat, deviennent méprisables.
Ils ne sont habités que par des baladins ;
La débauche préside à leurs sales festins.
Le souverain, épris d’une indigne tendresse2 ,
Suit sans discernement le goût de sa maîtresse ;
Elle ordonne, il souscrit, humilié, soumis.
Aux genoux d’une femme on voit tomber Louis
Et, jaloux d’assouvir sa passion brutale,
Il profane à ses pieds la majesté royale.
Cependant on l’adore, et tout son peuple en pleurs3
Semble baiser la main qui cause ses douleurs.
Il étouffe ses cris. Ah ! pourquoi te contraindre ?
Trop généreux Français, que vous êtes à plaindre.
On bannit loin de vous l’anglaise liberté.
Accoutumé au joug de la captivité
Quand votre Roi prononce une injuste sentence
On vous force à garder un criminel silence.
Franchissez sans scrupule un pouvoir odieux
Tant que vous servirez, vous serez malheureux.
Voilà mon sentiment ; l’affreuse politique
Peut s’offenser des traits de ma libre critique ;
Elle peut contre moi déployer son courroux ;
Mais ma vertu suffit pour repousser ses coups.
J’embrasse sans rougir la commune querelle,
Je parle au nom du peuple en citoyen fidèle.
Écoute-moi, Louis, jette un moment les yeux
Sur ces fameux Bourbons, sur tes braves aïeux.
Tu verras ces héros environnés de gloire
Dans l’ardeur des combats poursuivant la victoire
Voler pour leurs sujets de hasard en hasard ;
Au retour de la paix, protecteurs des beaux-arts,
Tu les verras jaloux du bonheur de la France
Eux-mêmes sur le trône honorer la science ;
Tu verras le travail et l’émulation
Concourir à l’éclat de notre nation.
Accuse maintenant les jugements sinistres ;
Montre-moi tes héros, où sont-ils tes ministres ?
Un obscur financier4 dont les vastes projets
Sous le poids des impôts font gémir tes sujets ;
Un moine maîtrisé par la soif des richesses5
Qui trahit sans rougir son Dieu par des bassesses ;
Un magistrat rampant sous le pouvoir des rois6
Qui souscrit lâchement aux plus injustes lois ;
Un prévôt des marchands7 qui pour chanter ta gloire
Par les traits les plus fols consacre sa mémoire.
Voilà donc ce concours de héros si vantés ;
Crois-tu passer par eux à l’immortalité ?
On te trompe, Louis. L’intérêt détestable
Est l’infâme artisan du joug qui nous accable.
En vain tes courtisans te font-ils admirer
Un nom dont ils ont seuls osé te décorer.
Examine l’erreur du titre qu’on te donne,
Louis le Bien aimé est Louis sans couronne ;
Louis, qui sur son trône entouré de flatteurs,
Détermine à leur gré les dons et les faveurs,
Est un roi fainéant, lâche, faible, imbécile
Et pour tout dire enfin est un prince inutile.
Par un nom captieux, par des honneurs nouveaux,
Ils veulent t’éblouir et cacher tes défauts.
Sors, il est encore temps, du sein de la mollesse,
Fuis de tes ennemis la voix enchanteresse,
Commande en souverain et que l’on dise un jour
Louis sut allier la gloire avec l’amour ;
Louis de ses sujets fut appelé le Père,
Louis seul mérita de régner sur la terre.
Clairambault, F.Fr.12719, p.87-92 - F.Fr.10479, f°307r-309r - F.Fr.15153, p.25-37 - NAF.9184, p.501-03 - Arsenal 2964, f°28-30