Remerciement de la France au Parlement
Remerciement de la France au Parlement
Dois-je en croire mes yeux ? Est-ce un songe ? Qu’entends-je ?
Les Jésuites proscrits ! Quel changement étrange !
Ces superbes tyrans, dont l’air audacieux
Épouvantait la terre et menaçait les cieux,
Ces anges lumineux, dont la troupe brûlante
Sur le char d’Israël doit être triomphante,
Ce peuple de parfaits, ces apôtres héros
Par qui tout est tiré de la nuit du chaos,
Qui donnent à leur gré le calme ou la tempête,
Ce corps dont chaque membre est né le casque en tête
Dont un vaut une armée, et peut, nouveau Samson,
Joindre le vol de l’Aigle aux forces du Lion,
Quoi ! ces fiers conquérants, tous ces foudres de guerre,
Les voilà devenus l’ordure de la terre ?
Quel coup vient de frapper ce colosse fameux ?
Il s’ébranle, il chancelle ; enfin, selon mes vœux,
De son poids accablant je vais être affranchie.
À qui dois-je un bienfait d’où dépendait ma vie ?
C’est là le fruit heureux de ton zèle pour moi,
Illustre aréopage, organe de mon Roi.
Les Jésuites proscrits ! quel bonheur pour la France !
Juge par le bienfait de la reconnaissance
Permets pour le payer que je t’offre en ce jour
Un gage solennel du plus parfait amour.
Ils sont donc démasqués, ces imposteurs infâmes,
Dont l’Enfer si longtemps ourdit les noires trames,
Dont j’ai vu tant de fois les projets dangereux
Faire éclore en mon sein des orages affreux
Quel horrible tissu de lâches calomnies,
De basses trahisons, d’indignes fourberies,
Mes fastes, j’en frémis, offrent à l’univers !
Tissu qu’impunément un tas d’hommes pervers
A formé, dans l’espoir d’écraser l’innocence,
Et par là d’usurper la suprême puissance !
Leurs pas dans mon enceinte à mes regards surpris
Sous le fer et le feu n’offrent que des débris
Qu’êtes-vous devenue, heureuse solitude,
Où j’ai vu le travail, la prière et l’étude,
Embrassant dans leur cercle un long ordre de jours,
Du sceau de la Justice en consacrer le cours1 ?
Sous l’effort des méchants qu’irritaient les obstacles,
J’ai vu, malgré le Ciel si prodigue en miracles,
Ravager le saint temple et de profanes mains
Se jouer, en brûlant les os sacrés des saints.
Et toi, par tant de fruits qui flattais mon attente ;
maison de l’Enfance, école édifiante,
Par quel enchaînement de revers et d’horreurs
Ai-je vu disparaître et tes fruits et tes fleurs ?
Une secte cruelle, à jamais abhorrée,
Du nom d’un Dieu de paix effrontément parée,
Contre toi, sans rougir, arme des furieux,
Étale insolemment mille excès odieux,
Et, triomphant enfin d’un affreux brigandage,
Des filles de Sion dévore l’héritage.
Mais pourquoi rappeler le souvenir amer
Des ravages d’un monstre enfanté par l’Enfer ?
Son temps finit : Thémis vient essuyer mes larmes ;
Son bras de mes tyrans déjà brise les armes ;
Arrache mes enfants à ces vils corrupteurs ;
De ces brigands masqués dévoile les horreurs ;
Développe au grand jour leurs erreurs homicides,
Germe, hélas ! jusqu’ici féconde en parricides ;
Suit le plan meurtrier de leurs pieux forfaits ;
Contre le Monstre enfin réunit tous ces traits.
Il va donc succomber, et sa chute est prochaine…
Serais-je le jouet d’une espérance vaine ?
Dieu ! quel trouble secret s’élève dans mon sein !
Quel spectacle nouveau vient m’alarmer soudain !
Que vois-je, pour sauver ses partisans fidèles,
Satan chez eux travaille, et leur donne des ailes.
Ils volent, tout fermente ; à tes sages efforts
On oppose, O Sénat, les plus fougueux transports.
Le sacré, le profane, on met tout en usage :
Et le Ciel et l’Enfer tout seconde leur rage.
Quels fourbes, pour jouer cent rôles différents !
Reptiles dangereux à la porte des Grands ;
L’Évangile à la main, faux docteurs, faux apôtres,
Pour captiver les uns et séduire les autres ;
Politiques rusés, par de secrets transports,
Chez d’aveugles clients s’assurant leurs trésors,
Dans les saints tribunaux ligueurs pleins d’artifices,
Semant partout la crainte et flattant tous les vices,
À la cour, l’or en main, prodigues mendiants ;
Chez Thémis, l’œil baissé, tartuffes suppliants.
Les uns, dans des écrits, enfants du Molinisme,
Distillent le poison d’un affreux fanatisme ;
Ou, dans leurs chambres noires échauffant leurs dévots,
Les traînent saintement dans d’horribles complots.
Les autres chez B… assemblent leurs cabales2 :
Là, malheureux jouets d’une ivresse fatale,
Des prélats sans lumière et croyant en avoir,
Tendent la main au crime et s’en font un devoir.
Aux pieds du souverain ceux-ci portent leur plainte ;
Et, peignant dans leurs maux ceux de l’Église sainte,
Voudraient, dans leur querelle intéressant la Foi,
Surprendre en leur faveur la piété du Roi.
Ceux-là, portant sur Rome un œil de confiance,
Veulent de la tiare implorer l’influence ;
Et du glaive sacré frappant les magistrats,
Armer le Vatican contre leurs attentats.
Levez-vous, et sereins au milieu de l’orage,
Augustes Sénateurs, achevez votre ouvrage.
Le méchant dans vos fers déjà tremble et pâlit :
Mais l’Hydre sent le feu, se relève et revit.
Bannissez sans délai cette funeste engeance,
De troubles renaissants éternelle semence.
Vous en avez trop fait pour n’en pas faire plus.
Si vous les suspendez, vos coups sont superflus.
Ne blessez qu’à demi le Monstre, il vous dévore.
Ce n’est pas sa fureur que je redoute encore :
Il n’est pas temps ; craignez son air souple et soumis ;
C’est à vos pieds qu’il faut craindre vos ennemis.
Bientôt, les yeux en pleurs, l’effroi sur le visage,
D’un repentir sincère empruntant le langage,
Pressés par les remords, abattus, consternés,
Aux autels de Thémis humblement prosternés,
Ils viendront en rampant, séducteurs hypocrites,
D’un ton ferme abjurer leurs erreurs favorites,
De leurs auteurs impurs flétrir les sentiments,
Et même sous la foi des plus affreux serments…
Gardez-vous d’écouter ces charlatans insignes ;
Sénateurs, on le sait, leurs manœuvres indignes,
Dont le temps a rouillé les ressorts impuissants,
N’en peuvent imposer qu’à de vils partisans.
Leur promesse trompeuse, ouvrage de la crainte,
Par des détours secrets mentalement restreinte,
Est un faible lien pour qui n’en connaît qu’un,
Celui qui l’asservit à l’intérêt commun.
Pourrait-on croire encore ces modernes Chrisippes,
Menteurs par conscience et trompeurs par principes,
Fourbes vieillis dans l’art de jouer l’air contrit,
Dont la main n’est jamais d’accord avec l’esprit ?
Je les ai vus cent fois, suivant leur noir système,
D’une main, d’un auteur souscrire l’anathème,
Et de l’autre, sous presse en glisser les écrits,
En inonder bientôt la Province et Paris.
Des serments coûtent-ils à qui, sous l’équivoque,
Du vrai, du faux, de tout également se moque ?
Et quelle foi mérite un corps d’homme sans Foi,
Dont la crainte est la règle et l’intérêt la Loi ?
Du pied d’un Tribunal où le vrai seul préside
Chassez donc, écartez cette Race perfide,
Qui d’un sépulcre infect sait blanchir les dehors ;
Qui, triste sans douleur, parjure sans remords,
Tend un piège à vos cœurs par devoir inflexibles,
Qui même par pitié doivent être insensibles.
Que de cris vers le Ciel poussent mille innocents,
Immolés aux fureurs de ces cruels Tyrans !
Le monde est sous mes yeux couvert de leurs victimes.
Où sont-ils établis, sans l’être par des crimes ?
Que de pleurs, que de sang répandus sur leurs pas !
Pour compter leurs succès, comptons leurs attentats.
Quel horrible détail que celui des ravages
Dont deux siècles entiers présentent les images,
On ne soupçonne pas d’un corps de mendiants
Des forfaits si nombreux, des excès si criants.
On les lit, on les voit, et l’on en doute encore.
Cette secte est vraiment la boîte de Pandore.
L’Europe enfin s’éveille au bruit de ses horreurs,
Chaque climat fournit des traits de ses fureurs.
Parcourez les complots qui souillent mon enceinte,
De ces hommes de sang on voit partout l’empreinte
À l’ombre des décrets au Saint-Siège surpris,
Sous leurs manteaux sanglants quel amas de débris !
Hardis fabricateurs d’une erreur chimérique,
Ils n’ont fait ruisseler que le sang catholique.
Que d’asiles sacrés des Arts ou des Vertus
Que j’ai vus florissants, que je vois abattus !
Quels tableaux ! Aux autels des vierges arrachées,
Des femmes au carcan sans délit attachées,
Des savants exilés par d’indignes complots,
Des prêtres innocents jetés dans des cachots,
Des prélats vertueux dans d’horribles cabales
Lâchement condamnés par des âmes vénales ;
D’autres saints dans leurs mœurs, sages dans leurs écrits
Par ces Pélagiens indignement flétris ;
Ceux-ci dans leurs palais livrés en proie aux flammes ;
Ceux-là, tristes jouets de délateurs infâmes,
Dépouillés de leurs biens, outragés sans raison ;
Plusieurs martyrs cachés, victimes du poison ;
Des pasteurs enchaînés par un jaloux caprice,
Des troupeaux dispersés sans ombre de justice,
De saints moines errant pour fuir leurs assassins ;
D’autres chargés de fers dans de noirs souterrains ;
Un prince, vrai modèle, au-dessus des louanges,
Qu’on met au rang des chiens, privé du pain des anges,
Des rois, même des rois, ceints du sacré bandeau,
Qui du Ciel sur leurs fronts portaient l’auguste sceau,
Succombant par l’effort d’insensés fanatiques,
Sous un fer aiguisé par des mains jésuitiques.
Ce n’est là qu’un crayon des divers attentats
Qu’ont fait, la croix en main, ces pieux scélérats.
Pourriez-vous, Sénateurs, touchés de larmes feintes,
Ouvrir un cœur sensible à leurs injustes plaintes ?
Non ; c’est vous que le Ciel daigne aujourd’hui charger,
Las de tant de forfaits, du soin de les venger.
Écoutez ces martyrs, dont la triste innocence
Par ses cris sous l’Autel appelle la vengeance.
De leurs persécuteurs voici le dernier jour.
Ils ont tout renversé ; qu’ils tombent à leur tour.
Ministres du Très haut, je vois enfin sa foudre
Qui part, et les méchants prêts à tomber en poudre.
« Arrêtez, vous dit-on, vos projets sont cruels.
Chez les Ignaticiens tous sont-ils criminels ?
Pourquoi confondre ainsi le crime et l’innocence ?
Thémis n’a donc pour eux qu’un glaive sans balance ? »
Où sont-ils, ces heureux, dignes de notre choix
Qui, sans souiller leurs mains, ont pu toucher la poix,
Qui, sans tache, plongés dans cette impure masse
Portent un cœur français sous le manteau d’Ignace ?
Tous, d’un même poison nourris dès le berceau,
Sur leurs yeux fascinés ont le même bandeau.
Chez eux, au même Chef l’aveugle obéissance
Entraîne, au même plan, même correspondance.
Tous ceux qui dans mon sein s’offrent à mes regards
Ne sont pas, il est vrai, des Suarez, des Guignards,
Mais dans un bataillon tout n’est pas capitaine.
S’il est pris ou défait, tous ont part à la peine.
En vain donc pour plusieurs réclame-t-on les lois,
Pour mieux duper Thémis on emprunte sa voix.
Cependant je le veux, tous ne sont pas coupables ;
Tous n’ont pas pratiqué leurs erreurs détestables ;
Plusieurs dans ce grand corps sont Français et Chrétiens.
Eh bien ! l’arrêt les sauve en brisant leurs liens.
Que ceux-là, nouveaux Loths au milieu de Sodome,
Suivent, sans balancer, les anges du Royaume,
Qui montrent le danger et dessillant leurs yeux,
Tendent pour les sauver un bras officieux :
« Mais nos vœux, disent-ils, sont de trop fortes chaînes… »
Ciel, peut-on écouter des alarmes si vaines ?
Est-on vraiment lié quand on l’est aux forfaits ?
Et quel vœu que celui de se perdre à jamais !
Vœux indignes du Ciel, promesses criminelles,
Tout prescrit le devoir de leur être infidèles.
Vous donc, infortunés, qui pleurez en secret
Sous un malheureux joug, fruit d’un zèle indiscret,
Foulez au pied des Vœux qu’a formés l’ignorance,
Que l’Enfer seul approuve et dont le Ciel s’offense.
Voyez en frémissant le précipice affreux
Où sans moi vous couriez, un bandeau sur les yeux.
Sortez d’un Corps infect que gouverne le crime,
Que la mort devant soi chasse au puits de l’abîme
Et, joints à mes enfants, célébrez d’une voix
Les vengeurs de mes Lys, les sauveurs de mes Rois.
En caractères d’or au Temple de la Gloire,
Que leurs noms soient gravés par la main de l’histoire.
Que les âges suivants apprennent que les lois
Triomphent tôt ou tard ; tout cède sous leur poids.
Voyez : quel Corps puissant que le Corps jésuitique !
Des esclaves nombreux sous un Chef despotique,
Tous les secrets des cœurs dévoilés à leurs yeux,
Dans leurs mains des trésors immenses, précieux ;
Pour être indépendants, d’étonnants privilèges ;
Pour se renouveler, de florissants collèges ;
Dans les cours un crédit qui fait trembler les Grands ;
Le droit dans le clergé de disposer des rangs ;
Le secret de duper un vulgaire crédule,
Les uns par intérêt, les autres par scrupule ;
L’adresse de se jouer de la Religion
Pour la rendre docile à son ambition ;
Rome au gré de leurs vœux prononçant ses oracles ;
Un merveilleux concert pour braver les obstacles ;
L’art de voler partout, sans passer pour voleurs ;
De passer pour savants, sans être des docteurs ;
D’incroyables travaux, mais toujours mercenaires,
Pour rendre à leurs trafics les deux Mers tributaires.
Que d’appuis pour ce Corps ! que de ressorts divers
Vont rendre les Sujets les Rois de l’Univers !
Non, les lois sont contre eux ; ils courent à leur perte,
Un regard du Sénat déjà les déconcerte.
Qu’est-ce en effet qu’un Corps de puissants scélérats ?
Je vois marcher contre eux un Corps de magistrats,
Qu’un esprit uniforme en ses diverses classes,
Rend attentifs aux lois, dirige sur leurs traces.
Entre ces deux grands Corps que je vois s’avancer,
La Victoire longtemps ne saurait balancer.
« Nous méprisons ton or, et bravons ton tonnerre,
Disent les Magistrats. Pour les Dieux de la terre
ton crédit est sans force, et ton or sans éclat.
Un seul objet nous meut, le bonheur de l’État.
Voilà, depuis ta Secte, ô funestes présages !
Deux siècles parmi nous de troubles et d’orages.
Qu’es-tu dans le Royaume, examinons tes lois.
Tu peux les suivre en paix, et jouir de tes droits,
Si, de nos libertés respectant les Maximes,
Ils n’offrent à nos yeux que des traits légitimes ;
Mais fuis et porte ailleurs tes Statuts odieux,
S’il n’en peut résulter que désordre en ces lieux.
Voyons. Quoi ! tu prétends, l’étrange privilège !
Pour Maître parmi nous n’avoir que le Saint-Siège ?
Et même de ses lois, par de sages efforts ;
Si ton chef l’ordonnait, te jouer sans remords !
Que de ce Chef altier, Divinité visible,
Chaque ordre est à tes yeux un oracle infaillible !
Que tes Sujets alors, leurs vœux en sont garants,
Se porteraient sans crime aux crimes les plus grands !
En faut-il davantage, ô secte trop funeste,
Pour découvrir enfin la source d’une peste
Qui, d’un venin subtil empoisonnant nos bords
N’y répand que l’horreur, n’y produit que des morts ?
L’arrêt est prononcé : c’en est fait, je respire :
Il tombe pour jamais le jésuitique Empire.
Que la Seine et le Tage, affranchis de leurs fers,
Érigent à l’envi des monuments divers,
Qui de leurs tribunaux éternisant la gloire,
Des lois sur ces forfaits consacrent la victoire !
Toi, dont l’œil pénétrant un dédale odieux
As si bien démêlé ces Statuts captieux ;
Généreux Citoyen, Magistrat intrépide,
Qui pour but n’a que l’ordre, et que le vrai seul guide,
Sage Abbé, jusqu’ici zélé pour mon salut,
De ma reconnaissance accepte mon tribut.
Sous ton premier effort le Colosse chancelle :
Suis d’un œil attentif l’ouvrage de ton zèle.
Ne cesse de frapper l’énorme Philistin,
Et qu’un nouveau David triomphe en Chauvelin.
BM Lyon 809728
Imprimé. Plusieurs éditions. Composé après l'intervention du conseiller Chauvelin au Parlement, toutes chambres assemblées, demandant l'interdiction des jésuites en France.