Requête du bourreau d'Orléans
Requête du bourreau d’Orléans
à M. l’intendant de la généralité d’Orléans1
Supplie humblement
L’exécuteur de la justice,
Dit le bourreau vulgairement,
Disant qu’à son grand préjudice
L’on empiète sur son office
Et qu’on l’exerce impunément.
Voici comment.
Certain prédicateur jésuite
S’érigeant en juge absolu,
De maint écrit qu’il n’a peut-être jamais lu
Et dont pourtant il veut décider du mérite,
A prononcé d’Arnauld, de Mons,
De Quesnel et de plusieurs encore,
Desquels le suppliant ignore
Et ce qu’ils disent et leurs noms,
Que ces écrits remplis d’ordure et d’hérésies,
Pleins de poisons séditieux,
Comme livres pernicieux
Doivent être flétris et noircis d’infamie.
Le suppliant qui fuit tous les mauvais débats,
Ne dit rien de l’impertinence,
Et du juge et de la sentence,
Et laisse à Messieurs les prélats
Le soin d’en faire voir toute l’extravagance ;
Ce fait ne le regarde pas.
Mais voici le fait qui le touche.
Notre zélé prédicateur,
Des arrêts sortis de sa bouche
A de plus attenté d’être l’exécuteur,
Et choisi tout exprès la fête solennelle
Où Dieu nous a donné la mère du Sauveur,
Prétendant, a-t-il dit, lui déférer l’honneur
D’une exécution si belle
Qui s’est faite dans sa chapelle.
Notre homme, donc, suivi d’un cortège nombreux
D’écoliers bien instruits de ces cérémonies,
Leur fit chanter répons, versets et litanies,
Puis auprès d’une table assis au milieu d’eux,
S’étant fait apporter tous ces livres infâmes,
Vrais ouvrages de Lucifer,
Dignes, s’il en est cru, non des communes flammes
Mais de tous les feux de l’enfer.
Enfants, leur a-t-il dit, d’une voix respectable,
Considérez sur cette table
La Fréquente communion,
De l’hérétique Arnauld, ouvrage détestable ;
Voyez-y de Quesnel le livre abominable,
Vrai flambeau de révolte et de sédition,
Et cette autre traduction
Qui du suppôt du diable
A tiré son extraction,
Mons, l’exécrable Mons, les contes de Boccace,
Vrais cloaques d’impureté,
Méritent encore plus de grâce
Que cet amas d’impiété
Par le jansénisme enfanté.
Mais de tous ces écrits ne faisons qu’une classe,
Déchirons-les ensemble, ils l’ont tous mérité.
Ainsi dit, ainsi fait, il signale son zèle
Contre ces livres condamnés
Et leurs feuillets épars vers la troupe fidèle
A sa juste fureur sont tous abandonnés.
Or c’est un droit plus que notoire
Et connu de vous, Monseigneur,
Que lorsqu’un téméraire auteur
D’un libelle diffamatoire
Ose publier la noirceur,
Ou lorsqu’en ses écrits il attaque la gloire
De l’Église, du roi, des saints, du Créateur,
Et que d’un esprit imposteur
Il trouble de l’État la paisible harmonie,
Fomente l’hérésie ou la division,
Ce juges à qui l’on confie
La charge de couvrir tels écrits d’infamie,
Nous commettent au soin de l’exécution.
Les jésuites eux-mêmes en ont l’expérience
Et ce fut par nos mains que ces livres affreux
Qui les firent jadis chasser de notre France
Subirent la rigueur des feux.
Rendez donc, Monseigneur, une juste ordonnance
Qui nous maintienne dans nos droits
Et fasse à tous jésuites une expresse défense
De les enfreindre une autre fois
Ou bien enjoignez à ces pères
De prendre des lettres royaux
Qui les déclare nos confrères,
Leur donnant comme à nous l’office de bourreau
Et qu’ils disent avec franchise
Qu’ils sont les bourreaux de l’Église.
- 1Titre complet : Requête du bourreau d’Orléans à M. l’intendant de la généralité d’Orléans contre les jésuites de la même ville qui ont usurpé sur ses droits en déchirant solennellement plusieurs livres de Port-Royal dans la chapelle de leur maison le 8 septembre 1710
Maurepas, F.Fr.12627, p.29-32 - F.Fr.12500, p.197-99 - NAF.9184, p.233-34 - Arsenal 3134, f°127r-128v - BHVP, MS 551, p.202-05 - BHVP, MS 561, f°58 - Besançon BM, MS 561, p.185 (les dix derniers vers) - Lyon BM, MS 756, f°111-112 - Le vrai recueil des Sarcelles, (1764), t.II, p.133-36
A M. d'Argenson, lieutenant général de police (Maurepas)