Chanson sur la disgrâce de M. Chauvelin
Chanson sur la disgrâce de M. Chauvelin
C’est chose rare en vérité
Qu’une longue prospérité.
Témoin l’aventure sinistre
D’un trop ambitieux ministre
Qui vient de tomber de si haut
Qu’on ne vit jamais pareil saut.
Il était ivre des vapeurs
De l’encens des adorateurs,
Et non content de l’Excellence
Devint jaloux de l’Éminence1 .
Mais bientôt le Ciel irrité
A puni sa témérité.
Ce fut un jour de grand matin,
Prenant sa robe de satin,
Car des Sceaux il était le garde.
Il entend du bruit, il regarde
Et voit un messager brillant2
Qu’il reconnut à son ruban.
Chacun avait attention
A telle salutation
Qui ne parut point angélique
Quand on vit la grande relique3
Repasser avec l’envoyé
Qui n’en parut pas fatigué.
A cet accident douloureux
Succède un autre plus fâcheux.
Ce n’était pas un janissaire
Qui apporta la jarretière,
Mais seulement l’ordre d’aller
Dans son château se renfermer.
Alors il tombe évanoui,
Puis un peu revenant à lui,
Attelez, dit-il, ma berline,
Je m’en vais donc à la Bouline
Comme un navire de côté,
Mais d’ailleurs assez bien lesté.
Adieu les beautés de la cour,
Dames du palais et d’atour,
Je ne vous quitte qu’avec peine.
Adieu, princesse ultramontaine,
Nous partagerons désormais
Moins de trésors que de regrets.
Adieu, Messieurs les maréchaux
Et tous les offices généraux.
Vous qui étiez en Italie,
Pardonnez-moi, je vous en prie,
Si je vous ai si mal servi,
N’en suis-je pas assez puni ?
Je vais retrouver des forêts
Où je ne verrai que cyprès.
Je vais promener ma figure
Sous leur sombre et triste verdure,
Et dans mes grands jardins aussi
Qui seront plantés de soucis.
Clairambault, F.Fr.12707, p.171-73 -Maurepas, F.Fr.12634, p.221-23 - F.Fr.13661, p.719-21 - F.Fr.13662, f°29r-30v - F.Fr.15148, p.233-37 - F.Fr.15231, f°173v-174r - Arsenal 3133, p.385-88 (sauf le dernier couplet) - BHVP, MS 549, f°9r-10v