Brevet d'évangélistes du Régiment en faveur des quatre maîtres de confrérie des marchands de vin.
Brevet d'évangélistes du Régiment en faveur des
quatre maîtres de confrérie des marchands de vin
Pour traiter un sujet nouveau,
Bacchus, j'implore ta puissance.
Viens te joindre avec l'influence
Que Momus verse en mon cerveau.
D'un vin franc, pur et sans mélange
Tel qu'en la Bourgogne tu l'as bu,
Vin dans les temples inconnu,
Dieu tutélaire de Coulange,
Abreuve un buveur morfondu
Par la vertu de la marotte.
Est-ce prestige ou vérité ?
De l'élite de la Calotte
Quel est ce secret comité ?
Perçons le burlesque mystère
Et dévoilons le résultat
De la diète extraordinaire
Qu'en ce comique sanctuaire
tinrent ces gens que je vois là.
Un disciple de Loyola
Dans ce ridicule conclave
Est choisi pour louer le saint
Que tout bon marinier révère,
Ainsi que tous marchands de vin.
Je l'aperçois qui monte en chaire
Où l'erreur le suit à tâtons.
Il va commencer, écoutons.
D'une secte impie et rebelle,
Secte qu'en vain Hercule harcèle,
Loin d'ici, profanes suppôts,
Laissez les élus en repos.
Mais du grand évêque de Myrhe
C'est ainsi que doit prêcher
Tout membre du chinois empire.
Laissons-le donc se panader
Et faisons trêve à la satire.
Admirez la sagacité
De l'habile panégyriste
Et sa prudente charité
Qui revêt la Société
Des attributs du janséniste.
Au pieux et savant clergé
Il rend un tribut légitime
Et dans le zèle qui l'anime
Vous n'êtes pas même oublié,
Vous qui, pour soutenir la table
D'un prélat de grand appétit1 ,
Le trésorier impitoyable,
Bien loin de faire aucun crédit
Fait souvent payer d'avance,
Vous qui de la moindre dispense
Savez si bien tirer parti,
Qu'on croit avec grande apparence
Que le démon de la finance
Ou quelque publicain maudit
D'une harpie incluse en son lit
Sur un roc vous donna naissance.
De l'orateur inimitable
Tel enfin est l'art admirable
Que rien ne manque à ses portraits
Si ce n'est la vérité ; mais
Ce défaut n'est que bagatelle
Car la vérité quoique belle
Onc ne fut, n'est, ne sera,
Pour les enfants de Loyola,
Qu'être purement chimérique,
Dont, malgré la clameur publique,
L'ordre se joue et se jouera.
Toi, qui sur toute la terre
Tiens sans cesse les yeux ouverts
Pour donner secte salutaire
À mille calotins divers,
Momus, tu gardes le silence !
Laisseras-tu sans récompense
Ces quatre gourmets dont le choix
Signale si bien la maîtrise
Qu'en travaillant leur marchandise
Ils n'observent pas mieux les lois,
Gens de politique fine,
Qu'en tripotant vin et doctrine.
Dans ces deux points également
Ils font honneur au Régiment.
Non, la marotte redoutable
Qu'au milieu des airs j'entrevois,
D'un traitement plus favorable
Leur est un signe indubitable,
Qu'en vain attendent quelquefois
Sujets encore plus calotables.
Oui, grand dieu, de ces francs narquois
Les desseins quoiqu'impénétrables
Je vais instruire l'univers.
Aux quatre apprentifs molinistes
Momus donne absolu pouvoir
De travailler sans le savoir
À convertir les jansénistes
Et les croates du Régiment.
Pourquoi ces discrets conclavistes
Dans ce grand corps incessamment
En qualité d'évangélistes
Seront reçus gratuitement ?
Voulant qu'à ce haut mystère
Tant en l'air que sur mer, sur terre,
Ils vaquent sans empêchement.
Mais de peur que la concurrence
N'excite entre ces prédicants
Débats fâcheux et mordicants
Qui tireraient à conséquence,
Momus qui, par sa sapience,
Prévient tous les événements,
Par cette authentique ordonnance
Règle ainsi les départements :
Le grand maître de la Pantoufle
Exaltera de tout côté
Les vertus, les propriétés
De celles du saint dont le souffle
Infectera nos libertés.
Celui de la Bonne Fortune
À tout appelant endurci
Par un pathétique récit
Vantera la faveur commune
À tous ceux qui vendent ici
Pour prélature ou pour finance
Et signature et conscience.
Quant au mérite du Cercle d'or,
À tout cafard d'un ton plus fort
Il démontrera l'excellence,
La force, la toute-puissance
De l'or de la Société
Par qui Girard fut racheté.
Or donc la vertu redoutable
Percerait le plus dur rocher
Et sauverait même le diable,
Si plus que ce moine exécrable
Diable pouvait jamais pécher.
Enfin la Bonne Vendange,
Le maître aussi zélé qu'un ange,
Aux gourmets fins et curieux
Prouvera sans cesse en tous lieux
La science digne de louange
Et le montant délicieux
Du vin dont un certain gros homme2
Se régale avec ses amis
Lorsque sous l'étendard de Rome
Il marche à ses fiers ennemis.
Fait sous le signe du Lion
Entre la poire et le fromage,
Temps auquel un sénat poltron
Sottement rentra dans sa cage.
Lille BM, MS 63, p.435-46