Brevet de ministre pour l'empire de Momus en faveur du cardinal de Fleury.
Brevet de ministre pour l’empire de Momus
en faveur du cardinal de Fleury
Tous les dieux s’étant aperçus,
Mais trop tard, qu’ils étaient déçus,
Tinrent un conseil à Cythère
Pour réformer leur ministère.
Depuis que de tous leurs états
Ils avaient banni tous les chats
Comme animaux peu nécessaires,
Ils connurent que leurs affaires
Allaient bien mal et que les rats
Emportaient jusques à leurs draps.
Pour prévenir telle misère
C’était pour eux un grand mystère
Et l’on ne vit jamais Momus
Si interdit et si camus.
Pour lui cette déconfiture
Était à digérer trop dure.
Chacun s’y plaignit de son sort,
Les uns moins, les autres plus fort.
Enfin l’on y prit des mesures,
Pour tout remettre les plus sûres.
Jupiter dit tout le premier
Qu’il n’avait plus sol ni denier
Dedans son coffre pour la guerre
Que les méchants lui voulaient faire,
Qu’il devait par dessus le cou,
Que de tout il était à bout,
Et qu’il n’avait ni plomb ni poudre
Pour faire éternuer sa foudre,
Qu’il n’avait pas autant de clous
Qu’il lui fallait boucher de trous,
Qu’il rognait jusqu’à sa chandelle,
Qu’il n’osait porter de dentelle,
Que ses pieds puaient le relent
Faute d’avoir des chaussons blancs,
Qu’il sentait que son avaloire
Ne pouvant plus manger et boire
À sa façon se fermerait,
Et qu’à la fin il porterait
Chemise nue sur ses épaules.
À de si piteuses paroles
La voix lui manquant, il se tut,
Et la cour répondre ne put.
Le dieu des mers et de la terre,
Voyant interdit son confrère,
Prit la parole et raconta
Les maux que chacun écouta.
Dedans mes cavernes profondes
Qui ne sont ouvertes qu’aux ondes
Qu’aux taupes, qu’aux poissons,
Que n’avais-je pas à foison !
L’or, l’argent, les pierreries
Paraient chez moi les écuries ;
Dans mon canal, dans mon jardin
Croissaient habits, chair, pain et vin.
Tous mes sujets sous des lois sages
M’obéissaient dans tous les âges.
Nous étions heureux et contents.
Où êtes-vous, ô heureux temps ?
Je ne vois plus que misérables,
Que des mutins, des intraitables
Qui iraient plutôt au trépas
Que de donner ce qu’ils n’ont pas.
Plus ils m’exposent leur misère,
Plus ils enflamment ma colère.
Si ne veux-je pas boire d’eau
Quand je devrais vendre leur peau.
J’ai bien encore quelque maltôte
À établir sur leurs culottes
Et leurs chausses. Qu’en viendra-t-il ?
Hélas, que monsieur l’alguazil
Prenant pour lui l’étoffe pure,
J’aurai la plus fine doublure.
Ah ! j’enrage de tous ces maux
Qui nous rendrons nus comme veaux.
Avant qu’il soit un an peut-être
Il faudra que j’aille à Bicêtre,
À pied comme un pauvre chétif
Qui n’a ni cheval ni esquif.
Justice, Messire, justice.
Que quelque nouveau supplice
Nous venge contre leur auteur.
Pluton, qui n’a guère de peur,
Ne peut s’empêcher de se plaindre
À son tour. Je parle sans feindre.
Moi, dit-il, dans peu mes États,
Si cela dure, seront à bas.
Depuis vingt ans jusqu’à cette heure
Je ne reçois pas, que je meure,
D’en haut, un homme pour mes champs.
Ceux qui viennent sont si méchants
Que les enfers sont leur partage.
Encore n’ont-ils pas la rage
De me désobéir en tout.
Ils me regardent comme un loup,
Me supposant un hérétique.
Ils n’usent de cet art magique
Que depuis qu’un certain Tellier,
À qui j’apprends bien son métier,
Est venu troubler mon royaume.
Car nuit et jour il ne chôme
De débaucher mes bons sujets,
Quoique pieds et mains dans les rets.
Pensent-ils que sa révérence
Règne ici comme dans la France ?
Il y a joué trop gros jeu
Afin qu’il ne soit pas au feu
Avec toute sa noire bande
Et sa fière clique marchande
De sang humain qu’elle répand
Pour s’acquérir un peu de vent.
Encore si dans les allées
De mes campagnes élysées
J’avais ceux qu’ils ont désolés,
Persécutés, immolés,
Je pourrais me vanter sans rire
De régner avec grand empire.
Mais tous ces homme demi-dieux
Sont envoyés dans les cieux.
Partant, à vous tous je demande
L’extinction de la légende,
Ou dans mon empire là-bas
Les cent diables ne tiendront pas.
Dans ce conseil un grand murmure
J’ouïs par la serrure,
Mais je ne pus distinguer rien.
Tous à la fois parlaient trop bien,
Quand une dame impatiente
De dire son mot se présente.
C’était Vénus1 . À peu de frais
Elle sut bien se faire paix.
Ne suis-je pas infortunée
Dit-elle toute embéguinée,
On me donne mon pain par mois.
Si je le mange une fois
Il faut faire des croix de Malte,
N’ayant pas de quoi faire halte.
Je crois qu’on se moque de moi.
Ne suis-je pas femme de roi ?
On me prend pour une mazette
De régler ainsi ma cassette.
Me faudra-t-il pour mon bonheur
Aller engager mon honneur ?
Plus heureuse est une grisette
Qui plie à son gré la toilette
Et qui reçoit de ses galants
Ce que Vénus à ses amants
Devrait donner. O servitude !
Il faut que je fasse une étude
De tricoter, coudre et filer.
Comment pourrai-je m’y styler
À rhabiller mes engageantes,
Mes bas et chemises méchantes ?
Comment pourveoir à mes besoins
Et récompenser les bons soins
De ceux qui me font la courbette,
Et en public, et en cachette ?
Périssent plutôt les mortels,
Que si l’encens sur mes autels
Manquait ; périsse mon empire
Plutôt que je cesse de rire.
À ces discours les petit dieux
Commencèrent d’ouvrir les yeux
Aussi brillants qu’une lanterne
Et se plaignirent aigrement
Du général du Régiment.
Bacchus prêcha pour le bachique,
Et Apollon pour la musique,
Ceux des sciences et des arts
Parlèrent comme des pendards ;
Mais tous pendards qu’ils sont, ils dirent
Tout ce que leurs ministres firent
Du jour qu’ils convinrent entre eux
Par un sort trop malencontreux
De changer tout l’ordre des choses
Pour avoir la pâtée aux roses.
Momus sur qui tout retombait,
Aux yeux de tous se dérobait
Et dans cette auguste séance
Il tenait pauvre contenance.
Chargé de veiller à l’État,
Il était fort peu en état
D’en guérir d’abord la blessure
Sans l’avis de son cher Mercure.
Interpellé de s’expliquer
Par les ordres de Jupiter
Il dit : Écoutez-moi, mon sire,
Je vois que tout s’en va :
Vos troupes mal disciplinées,
Vos finances réglées,
Le renversement de vos lois
M’annoncent l’État aux abois.
Des autels le sacré service
N’est plus qu’un indigne artifice
Pour s’élever et s’enrichir.
Mais pour tout, en un mot, franchir,
Je vous l’ai dit, je le répète,
Sire, mettez-vous à la tête
Des affaires et tenez-vous-
Y attaché comme un clou.
Écoutez bien, dans la dispute
Les deux partis qui sont en butte
Avant de vous déterminer
Ou, loin de vous faire estimer,
Vous prendrez Martin pour ses chausses
Et ferez décisions fausses.
Faites-vous craindre par amour
De vos sujets à votre tour,
Faites leur bien avec grâce,
Qu’ils vous rendraient à votre place.
Déchargez-les de ces impôts
Qui leur font dévoiler le don ;
Exterminez cette vermine
De maltôtiers qui vous les ruinent.
Vous êtes dieu, pour vous, pour eux,
Vous êtes roi : s’ils sont des gueux,
Vous serez roi de pouillerie
Ceci passe la raillerie
Ainsi de vos armes le son
Fera respecter votre nom.
Prenez enfin quelques ministres,
Gardez-vous bien qu’ils soient des cuistres,
Que tout chez vous soit contrôlé.
Alors si vous êtes volé
Vous serez le voleur vous-même.
Voilà Mercure qui vous aime ;
Il n’en connaît plus qu’un de bon
Dont il peut vous rendre raison.
Fort bien, et je vous remercie,
Momus, de votre courtoisie,
Dit Jupiter, ce n’est pas tout,
Voyons de l’un et l’autre bout ;
Aux affaires, je n’entends goutte
Ni n’y connais aucune route
Mercure
Plaît-il, Sire ? Hé, bien ?
Jupiter
À ces mots vous ne dites rien
Mercure
Je fais tout ce qui peut vous plaire.
Jupiter
Plaire, laire, laire, len laire
Je veux un ministre soudain
Mais je le veux de votre main.
Mercure
Comment le voulez-vous avoir
Ou rouge, ou gris, ou blanc, ou noir ?
Jupiter
Il m’en faut, la couleur n’importe.
Mercure
C’est qu’un chacun a son goût ;
Eh bien Sire, il vous le faut roux.
Jupiter
Ainsi soit, mais de vertu telle
Qu’après il faille ôter l’échelle ;
Mercure
Oui, mais il faudra le prouver.
Que j’ai couru pour le trouver !
Je suis allé en Angleterre,
Mais ce sont des buveurs de bière ;
Ils sont d’ailleurs trop cauteleux ;
Ils fendraient un cheveu en deux.
À d’autres ! Je vais en Hollande,
Frise, Westphalie, Zélande ;
Un homme y est trop matériel
Pour être accommodé du Ciel ;
Ce sont là des mangeurs de beurre
Dont nous pourrions être le leurre ;
Ils tondraient plutôt sur un œuf
Que nous ne tondrions un bœuf.
Item, de là en Allemagne.
Ses habitants sont de cocagne,
Ils me rappellent les géants
Qui voulaient se nicher dedans.
J’ai vu leur beau conseil aulique,
Il ne vaut rien pour ma boutique ;
Ce n’est qu’une attrape-lourdaud
Qui prend du vin puisant de l’eau.
Item, sans rien laisser derrière,
Passant les monts à la légère
Je voulus voir si en Savoie
Qui toujours mord, jamais n’aboie,
Nous pourrions faire notre emplette.
Mais, hélas, à quoi je m’arrête :
Ici on mène trop grand train,
L’on attrape de toute main.
Si l’on promet, cherche qui tienne,
Si l’on donne, qu’on s’en souvienne.
L’intérêt est le seul poignard
Qui enfile le montagnard.
Le plus payant toujours l’emporte,
Je n’en veux point de cette sorte.
Item, sans sortir de l’endroit,
J’ai cherché ce qu’il me faudroit.
J’ai vu dans le canton de Bâle
Si je pourrais changer ma malle.
« Moi lierre fouarre compliment
Au nom de tous divinement
Celui s’offre pour son pissage. »
Quels hommes sont-ce, quel langage ?
Sont-ils chrétiens ou tonquinois ?
Ils sont trop pauvres pour nos rois,
Le moyen que je réussisse ?
Ici, point d’argent, point de Suisse.
Item, tournant mon vol ailleurs
J’ai vu ce qui est de meilleur.
Rome, je pars pour cette ville,
Mais elle émut d’abord ma bile.
Jalouse, elle veut tout ou rien.
Elle regarde comme sien
Tout ce qu’ont de meilleur les autres,
Sous prétexte que deux apôtres
De Notre Seigneur, le grand Dieu,
Sont venus mourir en ce lieu.
Elle est trop fine politique
Pour la marchandise comique
Quand elle veut, tout doit plier.
Souvent son conseil n’est qu’un âne
Qui conduit toujours haut la canne.
Chez lui les meilleures oraisons
Sont, s’il a dit, hors de saison.
Il court, mais jamais ne recule ;
C’est être têtu comme mule.
Item, chez le fier Espagnol
J’ai cru pouvoir faire fortune.
J’y suis. Qu’aperçois-je ? La lune.
Un homme qui va pas à pas
Avec dague et coutelas.
Fi, celui qui porte moustache,
Au cul cette grande rondache,
C’est là Don Quichotte tout pur,
Pour son écuyer, pour le sûr
Celui qui pince sa guitare
Fare, fire, fare, chose rare.
Fadare est la procession
De la sainte inquisition
Qui conduit avec chant et danse
Son criminel à la potence,
Suivi de la sainte hermanda.
Quelles sottise sont-ce là ?
Sortons d’ici, je veux qu’on sache
Que l’Espagnol n’est qu’un ganache
Qui pipe l’air et s’en nourrit ;
C’est au moins un ventre pourri
Qui, avec ses rodomontades,
Son or, son argent, ses bravades
Nous ferait aux cieux endêver
Et enfin de dépit crever.
Item, nous voyons dans la France,
Peuple de très rare prudence,
D’où je prendrais autant de voix
Qu’il y a des feuilles au bois
Parmi tous ceux [ill.]
Ainsi que mon roi le demande.
Sire !
Jupiter
Tu boiras bien deux coups,
Mercure, en faisant une pause.
Il est temps que tu te reposes.
Crois que je te suis obligé,
Autant que j’étais affligé.
J’aurais enfin les bras à l’aise.
Que je vais dormir sur ma chaise,
Combien de gibier je tuerai,
Combien de cocus je ferai,
Je resterai longtemps à table,
Content, réjoui, agréable,
Je parcourrai tant de pays
Que j’en suis déjà ébahi,
Je vivrai sans inquiétude,
Sans soin, sans chagrin, sans étude,
Les jeux, les ris et les amours
Vont se relever tour à tour.
Vois-tu cette auguste assemblée
Qui t’applaudit toute d’emblée
Elle connaît que ton secours
Vient rajeunir toute leur cour.
Il n’y a pas jusqu’aux déesses
Qui m’envient d’être maîtresses. [sic]
Connais ton sort et cet honneur,
Mercure, achève mon bonheur.
Mercure
Je viens donc avec diligence
En vous faisant ma révérence
Offrir à Votre Déité
Ce qui de la grande cité
Vaut le mieux pour votre ministre.
Rien n’échappe à sa vigilance,
Il entreprend tout ce qu’il pense,
Il ne prend pas trop haut l’essor
Pour n’en pas casser le ressort.
Ce qui serait insuffisance
Chez d’autres, est pour lui prudence.
Pacifique il l’est à l’excès
Car il est pour faire la paix,
À bannir de dessus la terre
Jusqu’aux images de la guerre
Répandre tant de millions
Avec tant de profusion
Que jusqu’aux envieux de la France
Ils en sont tous dans l’admirance.
Il est si fidèle à son roi
Qu’il n’y a que la sainte loi
de Dieu proposée en l’office
De saint Grégoire2 qui puisse
Le retirer de son devoir.
Jugez comme il fait pleuvoir
Avec grande magnificence
Sur tous les sujets de la France
Les nèfles, les chardons, les glands,
Les prunes, les mirobolants,
Et toutes autres confitures
Qui sont à digérer peu dures.
Que ne peuvent pas tous les dieux
Attendre d’un homme si pieux
Quand il sera à leur service ?
Ah, soyons lui donc propices.
Grand amateur de l’unité
D’avis qui sans difficulté
Fixe un sentiment, ô sagesse,
Avec toi, sa noble hardiesse
A eu soin dans ses conseils
De n’y mettre que ses pareils,
Qui se sentant si redevables
Et se voyant par là passables,
N’ont garde de le tracasser
Et d’aller se faire chasser
Par une vaine différence
De leurs avis à ce qu’il pense.
Si quelqu’un a été si fou
De s’y aller casser le cou,
Une très longue expérience
Leur a déjà appris qu’en France
Un ministre au nom de son roi
Règne seul et porte la loi.
Que dire de la confiance
Qu’il donne avec beaucoup d’aisance
Au prince qui n’entreprend rien
Sans le consulter, si bien
Que lui sans cette déférence
Fait tout avec grande assurance.
Ces prodiges sont inouïs,
N’en êtes-vous pas réjouis ?
Messires, car dans tout le monde
La chose est encore sans seconde.
Si l’argent ne circule pas
Par rareté, est-ce là-bas
Seulement ? C’est que par mesure.
Il raccroche avec usure
De ceux à qui sans dureté
Il a très poliment traité,
Pour le remettre dans ses coffres
Ou comme dans de profonds golfes
Il attendra l’éternité.
Si quelquefois par charité
Il en fait sortir quelques oboles
Il le prodigue sagement.
Si quelquefois mêmement
Les gens qui sont de la milice
Pour supplément à leur service
En souhaitant la discrétion
Sait modérer leur pension.
En un mot c’est une excellence
Une grandeur, une éminence,
C’est le cardinal de Fleury
Qui toujours chante, toujours rit.
À ces mots l’horrible Médée
Se levant toute échevelée
Lui répondit, grinçant des dents :
Tu ne l’auras pas, impudent,
Tu ne l’auras pas, à ta honte,
Depuis longtemps sur lui je compte.
Je mangerais plutôt mes poings.
Or ça, écoutez une folle
Qui ne rit pas de faribole,
Mais qui porte partout l’horreur,
L’effroi, la guerre, la terreur.
Jaçois les évêques de France
Vivaient dans une nonchalance
Dont je rougis. J’ai obtenu
Enfin, et le temps est venu
Qu’ils se fissent entre eux la guerre
À coups de foudre et de tonnerre.
Sachez donc bien que leurs éclats
Feront ici seuls mes ébats.
Je les enfantai avec peine
Vous m’ôteriez mille fois l’haleine,
Non ces enfants que je chéris.
Or le cardinal de Fleury
Garde ma pomme de discorde.
Mon sort, bien plus fort que la corde
Cela n’aurait jamais passé
Si je ne l’avais compassé
Ainsi montée par les jésuites
Qui se sont faits d’illustres suites.
Ils sont bientôt mis au galop
Pour culbuter au premier choc
La tranquille et vieille routine.
Mais qui meurt de faim et de soif
Quand la mienne a passé de loi
Si j’ai souffert quelques censures
Elles servent de couvertures
À mon système, on le voit.
Mais j’empêche qu’on ne le croie
Le monde par ma politique
Viendra bouquer à ma boutique.
Si la raison n’est pas pour moi,
L’autorité défend ma loi.
Fi de l’Église qui est morte,
Vive celle qui bien se porte
Bien mange, bien boit et bien dort,
Et bien adonise son corps.
S’ils se tirent de ces mystères
Après la pâque, j’ai fait faire
Aux grands et petits tour à tour
Et que j’augmente chaque jour
En brouillant de plus la tête.
Dites, Médée n’est qu’une bête
Le moyen de tant reculer
Ou oseraient-ils s’acculer
Je réponds bien sur leur superbe
Que leur révélons est en herbe.
Je ne crains pas les Augustins
Ni la vieille troupe de saints
Qui éclairent toute la terre
Malgré l’effort que je puis faire
J’ai des mitres à commandement
Que je reprends adroitement
À la faveur du plus grand nombre
Qui ne reçoit son corps qu’en nombre
Un grand nombre très vide de sens
Je me conserve bien des gens.
D’un autre côté l’infaillible
Me donne une route possible
Aux progrès les mieux assurés
Mais pourtant les plus ignorés,
Car lorsque tout seul il décide
Ordinairement j’y préside
Et, quelque chose qu’il ait fait,
Il faut que ce soit, s’il vous plaît,
Une chose si véridique
Qu’elle demeure sans réplique
À ma sainte inquisition
Qui punit cette rébellion
Par la rigueur de sa justice
En passant au dernier supplice.
Amis, pour la Constitution
J’ai pris si grande affection
Qu’il n’y a point de récompense,
Qu’il n’y a point de pénitence
Que moi je ne fasse voler.
Quelqu’un pourrait m’en voler
La gloire : oui, tous les papiers,
Les livres, portefeuilles et cahiers,
Des sacrements l’exclusion,
De ses biens la privation,
Les contraintes, la violence,
Le fanatisme, la vengeance,
Les excommunications
Qui sont mes bénédictions,
L’exil, les prisons, le chisme,
L’hypocrisie et le déisme
Qu’allument partout mes prisons,
Sont tous mes tendres nourrissons
Mais ce qui me fait le plus rire
C’est qu’on ne peut encore dire
Pourquoi au fond de si grands maux
Eh bien messieurs nos cardinaux
Ne l’ont-ils pas bien équipées
Nos évêques, leurs coryphées
Et l’on voudrait nous la ravir
Je ne vous saurais le trahir.
Pour distinction de ma bande
J’ai soufflé la belle légende
Ils s’embrassent dévotement.
Le clergé dans son compliment
Au roi sans façon le proteste.
Il faut les en croire du reste
Laissez-moi faire, dans peu
Vous verrez bien un plus beau jeu
Tous ces maux ne sont qu’une ébauche
De ceux que Médée a en poche
Vingt mille lettres de cachet,
Qui pourra parer cet échec ?
Je tiens le cours de la justice
De peur que par quelque caprice
L’on ne m’enlève mes succès.
J’évoque à moi tous les procès.
Hélas, combien d’autres bévues
Ne sais-je pas faire à mes grues,
Qui sont des démonstrations
De leur vraie irréligion.
Mais c’est assez de maux commettre
Dit Jupiter, veuillez permettre
Que malgré cela je garde ici
Pour ministre monsieur de Fleury.
Momus
Sire, à tous maux remède.
Si vous voulez nous prêter aide,
Reprit Momus, mais bride en main
Pour ne rien faire d’incertain,
Il faut lui donner ma calotte
Cela ne souffre point de crotte
Dans celui qui est orné,
Eût-il l’esprit aussi borné
Que son nez, il faut qu’il pense.
Est-on triste, elle met en danse,
Elle rend sage les méchants,
Elle soumet les mécréants,
Elle lève toutes les taches,
Elle donne du cœur aux lâches,
Et avec ce divin chapeau
On devient un homme nouveau.
Ainsi malgré tous les obstacles
Je conclu, sauf tous les oracles,
Qu’avant son installation
Dans cette juridiction
Fleury en donne ma calotte
De plomb, très fort, voire la botte
S’il y échoit, et les harnais,
Les brodequins, gants et carquois
Pour le guérir de ses idées
Et de ses fantaisies musquées
Pour prendre les impositions
Convenables aux fonctions
D’un ministre de l’empyrée
Et d’une si haute volée
L’avis suivant tout net
Je plante mon petit bonnet
Dit Mercure en cérémonie
Je n’ai jamais eu de ma vie
Si grand plaisir qu’en ce jour-ci.
Monsieur le ministre Fleury.
Vient le repas où tout soupire
Et grandement tous y chantèrent
Jusqu’à extinction de voix
En répétant par trois fois
Dignus est, dignus est intrare
In toto digno bagare.
Lille BM, MS 63, p.251-93
Inconsistante logorrhée qui part dans tous les sens, avec rime, mais sans raison. Quelques allusions contemporaines (par exemple à la légende de Grégoire VII), un arrière-plan vaguement janséniste, un soutien affiché au cardinal de Fleury ne parviennent pas à structurer cette étrange fatrasie.