Brevet de Greffier de la calotte en faveur de M. d'Aguesseau
Brevet de greffier du Régiment de la Calotte
en faveur de M. d’Aguesseau, chancelier de France
De par le dieu de la Marotte,
À tous sujets de la Calotte,
Ordonne très expressément,
Vu l’incroyable accroissement
De notre souverain empire,
Et qu’à toute heure, à tout moment,
Un badin et jaloux délire
Envoie ici de toutes parts
Nombre de gens crus des plus sages,
De différents métiers et d’âges
Se ranger sous nos étendards,
De reconnaître sans remise
Ni donner marque de surprise,
Attendu qu’il sait mieux copier,
D’Aguesseau pour notre greffier.
Il peut nous rendre en cet office
Pour le moins autant de service
Que dans celui de Chancelier.
Dès longtemps dans certaine affaire
Ledit d’Aguesseau pour nous plaire
De l’esprit le plus calotin,
Le plus léger et le plus fin,
Avait donné de grandes preuves.
Mais pour plus grand contentement
Nous voulûmes dernièrement
Le mettre aux dernières épreuves.
Aux prises donc nous l’avons mis
Avec les plus grands ennemis
Que nous puissions de notre vie
Avoir jamais dans nos États,
Du moins la plus grande partie,
C’est-à-dire les avocats,
Tous d’une humeur incommode,
Qui veulent qu’on pense à leur mode,
Qui pèsent tout au poids de l’or.
Tels gens ne conviennent fort
À notre joyeux caractère.
Aussi ne nous aimons-nous guère.
Pour ceux de ce corps redouté
Qui n’ont pu se laisser corrompre,
Mais par pure timidité
Qui n’ont agi ni pour ni contre,
Les agrégeons au Régiment,
Comme goujats tant seulement
Avec un plaisir incroyable.
Après avoir examiné
Tous les travers incomparables
Que d’Aguesseau s’était donnés,
L’avons nommé par ces présentes,
Peut-être contre son attente,
Greffier de notre grand conseil
Avec l’honneur et l’appareil
Appartenant à cette charge.
Entendons pour notre décharge,
Vu les magnifiques talents
Qu’il a depuis très peu de temps
Acquis à notre honneur et gloire,
Qu’il tiendra toujours l’écritoire
Pour expédier tous les brevets
Et transcrire aussi les arrêts
Sans y mettre sa signature
Comme n’étant point de son cru.
Et nous ayant même paru
Avoir du goût pour l’écriture,
Pour bien entretenir sa main,
Le nommons grand maître écrivain
De notre empire, et par avance
Faisons très expresse défense
Aux calotins les plus adroits
De rien prétendre sur ses droits.
Comme il faut aussi faire en sorte
Qu’il ne soit point trop surchargé,
Car de beaucoup il nous importe
Qu’un tel sujet soit ménagé,
De peur que trop il ne travaille,
Nous nous trouvons aussi d’avis
De lui donner pour son commis
Et pour expédier la canaille,
Un postulant à nous connu,
Appelé un cerveau cornu,
Qui viendra plein d’un nouveau zèle
Pour avoir place au Régiment
Entre nos mains prêter serment.
Qu’à nos ordres toujours fidèle,
Aux sottises que l’on fera
Le premier il applaudira.
Et pour récompenser les peines
Dudit d’Aguesseau, le laissons
Paisible possesseur de Fresnes.
En outre aussi, lui permettons
D’y tenir le temps de sa vie,
Vu qu’il a bien profité,
École ouverte de folie
Comme aussi de légèreté.
Voulons qu’il y donne sans cesse
Des leçons, non pas de sagesse,
Ni d’odieuse fermeté,
Mais d’une aveugle obéissance
Qu’on exige toujours en France
Pour notre grande autorité.
Entendons et nous plaît encore,
Outre la calotte de plomb,
Que pour cause nous lui doublons,
Afin que personne n’ignore
L’origine de sa grandeur,
Que sur sa tête d’alouette
S’élève encore une girouette,
Lui décernant ce grand honneur
Afin qu’à tous par cette vue
Notre justice soit connue.
Fait en l’an où la faveur
De quelque nouveau prosélyte
Fit paraître notre Sauveur
Sous les habits d’un jésuite,
Enfin, où tout bien compassé
On joue le monde renversé.
BHVP, MS 665, f°2