Aller au contenu principal

Brevet de porte-marotte pour le chevalier de Rohan

Brevet de grand porte-marotte

pour le chevalier de Rohan1

Momus, seul dieu de la Marotte,

À tous nos gens porte-marotte,

Joyeux salut, liesse au cœur,

Contentement et belle humeur.

Vu la requête présentée

À notre dernière assemblée

Par Jean Chabot, communément

Dit le Chevalier de Rohan,

Exposant que dès sa naissance,

Par une bénigne influence

Il fut doué d’aversion

Pour le bon sens et la raison.

Qu’il veut passer pour un benêt,

Pour un butor, un misérable,

S’il se souvient d’avoir jamais

Rien dit ou fait de raisonnable.

Nous suppliant de le pourvoir

Par un brevet bien authentique

De quelque place honorifique,

Comme étant fils de duc et pair.

Pour ces preuves de suffisance

Il a produit sur le bureau

Et devant Notre Extravagance

Ses anciens faits et les nouveaux.

Comme autrefois à l’Opéra

Il brusqua certaine princesse

Et comme à force de bassesse

Le duc son corps le répara [sic] ;

Comme à la chasse il eut affaire

Avec un prince un peu mutin

Qui le maltraita de la main

Et bonnement le laissa faire ;

Comme un jour, avec un Breton

Ayant fait le mauvais bravache,

Il fut traité comme un ganache

Et contraint à changer de ton ;

Comme sa face d’écrevisse,

Sa fatuité, sa belle humeur

A Jarnac firent si grand peur

Qu’elle refusa le service ;

Son dernier trait avec Voltaire,

Voltaire, son meilleur ami,

Qu’il a fait battre par autrui

N’ayant lui-même osé le faire ;

Cent autres faits par ci par là,

Cent autres dits, et cetera,

Ce que par nous considéré,

Légèrement examiné,

Ayant égard à ses prouesses,

À tant de tours de gentillesse,

Désirant fort de le gagner

Et de plus près nous l’attacher ;

D’ailleurs voyant le Sieur Chabot

Ne nous présenter, soit en ville,

Soit en cour, qu’un grand inutile,

Qu’un désœuvré, qu’un godenot,

Surpris de voir le pauvre hère

Méprisé de toute la terre ;

À ces causes, nous, potentat

De tous les calotins du monde,

Voulant assurer un état

Au suppliant, quiconque en gronde,

De notre propre mouvement

Nous le faisons dès à présent

Unique et grand porte-marotte

De l’empire de la Calotte,

Avec un pouvoir absolu,

Soit qu’il soit bien ou mal voulu,

D’oser de notre sacrée masse

Dans toutes les occasions

Contre la vile populace,

Comme il a fait de son bâton.

Mandons dans toute l’étendue

De nos États aux calotins,

Qu’aussitôt la présente vue

On le reconnaisse soudain.

Car tel est notre bon plaisir.

Délibéré sans réfléchir

Dans le palais de la Folie

En bonne et grande compagnie,

Et donné dès le grand matin,

La lune étant dans son déclin.

Momus

 
  • 1Louis-Constantin de Rohan-Guéméné (1687-1779). Prêtre en 1732, il est ensuite évêque de Satrasbourg (1756) et cardinal (1761), mais il avait d'abord été chevalier de Malte et appelée "chevalier de Rohan". Voir Yves Combeau, Le comte d'Argenson, ministre de Louis XV (1999), p. 62.

Numéro
$4473





Références

BHVP, MS 664, f°71r-74v