Caprice sur la canonisation de S. Jean-François Régis
Caprice sur la canonisation
de S. Jean-François Régis1
Quel son vient frapper mes oreilles !
Sommes-nous donc à l’Opéra ?
Et pourquoi le tendre Campra
Enfante-t-il tant de merveilles !
Tout ce tapage me confond :
Eh quoi ! personne ne répond !
C’est pour un saint qu’on canonise.
Un saint, dites-vous ? Oui, vraiment,
Non pas un saint de par l’Église,
Mais bien un saint de par Clément.
Entrons : quelle magnificence
Éclate ici de toutes parts !
Vertubleu, ces riches cafards
Ont fait une belle dépense !
Que de damas, que de galons ;
Que de clinquants, que de pompons !
Que de preuves de leur sottise !
Va-t-on donner ici le bal,
Ou masqueraient-ils leur église
Pour célébrer le carnaval ?
Mais à propos de mascarade
(Car un chacun se masque en ce pays)
Eh, de grâce, Monsieur Régis,
Montrez-vous, point de gasconnade.
Que faites-vous donc là-dedans ?
Garderez-vous encore longtemps
Le voile importun qui vous couvre ?
Mais je vois tirer le rideau,
On siffle, la machine s’ouvre,
Eh ! c’est lui-même ; qu’il est beau !
Comment, ce n’est pas raillerie.
Oui, par la sambleu, le voilà.
Mais pourquoi l’a-t-on planté là ?
N’est-ce pas une mômerie ?
Ce trait allume mon courroux.
Je suis surpris que ces vieux fous
Ne l’ont pas mis en tabernacle…
Taisez-vous, petit indiscret,
Il pourrait bien faire un miracle
Pour vous punir de ce caquet.
À voir cette tête de cire
Comme par un enchantement
Se montrer dans l’éloignement,
Qui pourrait s’empêcher de rire ?
Le renard d’Ésope autrefois,
Voyant un semblable minois,
Le régala d’une apostrophe.
Ne peut-on pas dire aujourd’hui
Que tous les gens de cette étoffe
Ont moins de cervelle que lui ?
Vous qui de la triple couronne
Osant rejeter les décrets
Portez vos regards indiscrets
Dans le faste qui l’environne,
C’est bien à vous, petits esprits,
De combattre dans vos écrits
Du Pape le pouvoir suprême.
Allez, vous n’êtes que des fous :
S’il fait des saints malgré Dieu même,
Il en fera bien malgré vous.
- 1C’était une affaire de parti que la canonisation de Régis ; pour prouver la sainteté de leurs mœurs et le mérite de leur institution, les jésuites qui comptaient déjà plusieurs saints dans leur ordre, dans le seizième siècle, furent enchantés d’en avoir un dans le dix-septième […] Les jansénistes en furent piqués ; il auraient bien voulu dénicher le saint […] il fallut se contenter de bons mots, de vers et de satires. Voici une des pièces qui furent faites à cette occasion (Bois-Jourdain)
Clairambault, F.Fr.12708, p.289-91 - Maurepas, F.Fr.12635, p.153-57 - 1754, VI, 89-91 - F.Fr.13662, f°224r-225r - F.Fr.15149, p.321-25 - BHVP, MS 665, f°28v - Gastelier, IV,1, p.217 - Bois-Jourdain, III, 46-50
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