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Brevet de siffleur du Régiment de la Calotte pour le Sieur de Langerie, commissaire de la Marine

Brevet de siffleur du Régiment de la Calotte

pour le Sieur de Langerie, commissaire de la Marine

De par le dieu porte-marotte,

Nous, général de la Calotte,

À tous les marins emplumés,

Dans l’écritoire renommés,

Aux intendants, aux commissaires,

Soit généraux, soit ordinaires,

Soit petits ; aux ordonnateurs,

Aux inspecteurs, aux contrôleurs,

À toute la catégorie ;

Salut. Le sieur de Langerie,

Si connu dans l’humide corps,

À la Cour comme dans les ports,

Tant parce qu’il est ordinaire

Qu’en qualité de secrétaire

Du chef de ce département,

Nous suppliant très humblement,

Vu sa conduite calotine,

Son esprit, ses airs et sa mine

Dignes de notre attention,

De vouloir par distinction

L’engager à notre service

Et lui conférer un office,

Afin que, sous nos étendards,

Son nom vole de toutes parts.

Examen fait de sa requête,

Nous avons réglé que sa tête,

Aussi légère que les vents,

Vide de raison et de sens,

Méritait pesante calotte,

Et nous avons fait prendre note

Des beaux gestes du requérant

Dans notre registre courant.

Il porte que dès sa jeunesse

Le candidat plein de paresse,

Fut d’abord scribe à Rochefort

Par la seule faveur du sort ;

Qu’en outre, atteint de plus d’un vice,

Un jour, ayant la chaude-pisse,

Qui bien allait le tourmentant,

Il devint si fort repentant

Qu’il fut chercher la solitude

Et le froc ; mais le trouvant rude,

Soudain passa le repentir,

Et soudain on l’en vit sortir,

Retournant à sa vieille place,

Laquelle on lui rendit par grâce ;

Puis parvint au secrétariat

Qui valut le commissariat.

Plus, on lit que ce commissaire,

Soi disant premier secrétaire,

De Monseigneur de Maurepas,

Disputait à chacun le pas ;

Qu’on voyait cette face d’ambre

Cabrioler dans l’antichambre,

S’asseoir, se lever, promener,

Sortir, entrer, se démener,

Braver ses amis, ses confrères,

Qui voulaient lui parler d’affaires ;

Et ne répondre qu’en sifflant,

Pirouettant, cabriolant,

Pour ne déroger à noblesse ;

Mais qu’il savait fendre la presse

Pour un lieutenant général,

Un cordon, un vice-amiral ;

Qu’alors, le faquin débonnaire

Rappelait tous ses airs de plaire,

Quittant son sifflet pour un temps,

Sa cadence et ses contretemps.

Item, que ce porte-écritoire,

Afin qu’à tous il soit notoire,

Par un excès de sa bonté,

Pour ne pas brouiller les familles

Où tant de gracieuses filles

De la plus haute qualité

Aspiraient au bien de lui plaire,

A pris pour femme la Lemaire,

Fille du tailleur le plus fou

Depuis Paris jusqu’au Pérou,

Dont la maison par lui bâtie

Porte le nom de la Folie.

Item que l’homme a secretis

S’était fait mettre a remotis,

Voulant lutter avec son maître

Et le forcer à reconnaître

Qu’il avait moins d’esprit que lui ;

Que son Seigneur et son appui

Ne demandant qu’obéissance,

A voulu qu’il fût en Provence,

Pour régenter les matelots

Et faire danser les margots.

Item, que par lettres ronflantes,

Très laconiques, très savantes,

À Marseille il avait écrit

Qu’avant que le voyage il fît,

Il procurerait quelque grâce,

Récompense ou plus haute place,

À tous ceux qui, par cas heureux,

Devaient travailler sous ses yeux

Ou ses ordres mettre en pratique ;

Qui, bon matin dans la boutique,

Se rendront pour bien travailler,

Qui ne l’iront point réveiller

Pour lui montrer de l’écriture,

Ou pour avoir sa signature,

Et qui, très humblement soumis,

Ainsi deviendront ses amis.

Vu du requérant les bravades

Et les nobles pantalonnades,

Le conseil unanimement

L’a fait siffleur du Régiment

Au département de Provence,

Où l’on ne fait rien qu’en cadence,

Et lui donne rang volontiers

Dans le corps des ménétriers

Pour accompagner les aubades

Et se trouver aux sérénades.

Le Conseil lui donne de plus

En faveur de son alliance,

Pour augmenter ses revenus

Et lui procurer l’abondance,

Trois mille livres tous les ans

Sur les airs remplis d’harmonie

Que les tailleurs, ses bonnes gens,

Sifflent dessus leur établi.

Voulons, pour insigne faveur,

Que sur sa tête de linotte,

Pour son profit et son honneur,

On mette décuple calotte,

Avec oreilles, oreillons,

Rats, girouettes, papillons,

Force grelots, force sonnettes,

Plumes de paon et d’autres bêtes,

À son choix. Nous lui faisons don

De plus de notre grand cordon,

Pour le porter en bandoulière,

De la façon la plus ratière,

Avec notre médaille au bas,

Surmonté d’un chef de linotte,

Ayant pour support deux gros rats.

Fait au Conseil de la Marotte,

L’an qu’un général calotin

Se laissa surprendre un matin1 ,

Mais qui, bataillant en chemise,

Répara bientôt sa sottise.

  • 1 M. le Maréchal de Broglie à la bataille de la Secchia (M.)

Numéro
$4448


Année
1734 septembre




Références

1754, VI,51-55 - Clairambault, F.Fr. 12705, p.158 A-158 D - F.Fr.13661, p.605-612/613-619/621-27 par trois mains différentes.