Cantate allégorique dédiée à M. de Harlay, chancelier, garde des Sceaux du Régiment
Cantate allégorique
Dédiée à M. de Harlay,
Chancelier garde des Sceaux du Régiment
Dans un temple élevé sur un sable mouvant,
Séjour de brouillard et de vent,
Ouvert de tous côtés, où l’Art et la Nature
Par une bizarre structure,
Par un amas confus de divers ornements,
Étalent à nos yeux des désordres charmants,
Préside une déesse aux grâces passagères,
Mère des songes creux et des belles chimères.
Autour de son trône placés
La molle oisiveté, le sommeil et l’ivresse,
La rêverie enchanteresse,
Par quatre songes sont bercés.
Dans une balance pesée,
Espèce qui n’a point de son
Et que l’on appelle fumée,
Effet réel, solide fond,
Que, pour solde et pour pension,
Elle dispense à ceux de qui la renommée
Sur d’immortels écarts a consacré le nom.
Aux pieds de la porte-marotte,
Enchapinés par les passions
Et bridés comme des oisons,
la raison ne voit goutte et le bon sens radote.
D’un grand peuple qu’elle chérit,
Et de qui le zèle est extrême,
Jalouse d’amuser et d’égayer l’esprit,
Elle déclare ainsi sa volonté suprême :
Volez dans ces lieux, papillons,
Jasez, agréable perruches,
Badinez, folâtres gueunuches,
Et courez par sauts et par bonds ;
Qu’on n’entende que castagnettes,
Tambourins, grelots et sonnettes,
Et qu’on ne voie aux environs
Que danses, farceurs et guinguettes.
Volez dans ces lieux, etc.
Des bontés de la reine un calotin épris
Du bon goût de ses jeux, de ses fêtes surpris,
Enchanté de leur pompe et leur magnificence,
Lui marque par ces vers sans pareils et sans prix
La plus vive reconnaissance :
Reine de l’univers, tout fléchit sous ta loi.
Mais tes chaînes sont si légères
Que tout homme enivré d’orgueilleuses chimères
même en bravant tes fers, les porte comme moi.
jusqu’où ton plomb victorieux
Ne porte-t-il point ses conquêtes ?
La calotte même des cieux
N’a jamais couvert plus de têtes.
Reine de l’univers, etc.
À peine eut-il fini cet éloge éclatant
Qu’à la déesse tutélaire
En faveur de son Régiment
Il adresse cette prière :
Déesse, notre espoir, notre unique recours,
Qu’à notre bonheur tout conspire.
Nos vœux seraient remplis si nous pouvions toujours
Boire, manger, dormir, écrire ;
Faites régner dans votre empire
Les plaisirs nonchalants, les volages amours ;
Répandez un heureux délire
Sur tout calotin qui respire,
Que l’envie, abjurant les profanes discours
Et les vains traits de la satire,
D’un beau gouvernement respecte enfin le cours,
Et loin de le troubler, l’applaudisse et l’admire.
Déesse, notre espoir, etc.
1754, VI, 44-46