Brevet de surintendant des bals du Régiment de la Calotte en faveur de M. Bernage, prévôt des marchands, au mois de mars 1745
Brevet de surintendant des bals du Régiment de la Calotte
en faveur de M. Bernage, prévôt des marchands
De par le dieu porte-marotte,
Nous, souverain de la Calotte,
À tous officiers, hauts et bas,
Capitaines, sergents, goujats,
À tous mimes, pharmacopoles,
À tous faiseurs de caprioles,
Pierrots et cerveaux disloqués,
Faveurs et beaux esprits manqués,
Salut, honneur, joyeuse vie
Et redoublement de folie.
Depuis que de ce Régiment
Nous avons le commandement,
Nous osons dire ,à notre gloire,
Et sans trop nous en faire accroire,
Que jamais il n’avait été
Si leste ni si bien monté.
Mais les choses les plus complètes,
Et qui semblent les plus parfaites,
Comme trop souvent on le voit
Pêchent toujours par quelqu’endroit.
Notre Régiment par exemple,
Quand par l’écorce on le contemple,
Paraît complet à tous égards :
Nobles, bourgeois, paysans, princes,
Marquis, gouverneurs de provinces,
Prélats, cardinaux, magistrats,
Marchands, procureurs, avocats,
Savants, ignorants, empiriques,
Faibles, forts, bien nourris, étiques,
Grands, petits, freluquets, trapus,
Beaux, laids, bruns, blonds, courtois, bourrus,
Jeunes et vieux, esclaves et libres,
En un mot, gens de tous calibres.
Toutefois les vrais clairvoyants
Ont remarqué depuis un temps
Qu’il nous manquait une [sic] ustensile
En nos jours grandement utile,
À savoir un surintendant
De bals de notre Régiment.
Or comme le sieur de Bernage
A reçu du ciel en partage
Un don singulier pour ceci,
Nous l’avons entre tous choisi
Pour remplir ce poste honorable.
Aucun n’est si peu raisonnable
Qui, de ravissement saisi,
N’ait vu comme il a réussi
Dans la somptueuse ordonnance
Et la magnifique apparence
De ces vastes salons bâtis
Dans tous les quartiers de Paris,
Ornés de festons et guirlandes,
Pour faire danser sarabandes
Menuets, gavottes, rigodons,
À tous décrotteurs, polissons,
À tous savoyards et poissardes,
Culs crottés et soldats aux gardes.
Le tout pour attirer, dit-on,
Du Ciel la bénédiction
Sur l’auguste et sainte alliance
De l’Ibérie avec la France.
Ceux de la cour et de Paris
N’ont guère moins été surpris
Quand ils ont, à l’Hôtel de ville,
Trouvé l’agréable et l’utile,
L’amusant, le colifichet,
Tout y faisant un bel effet.
Ce qui plus récréa la nue,
Fut le désordre et la cohue
Et la noble confusion
Qu’on vit en cette occasion.
Que de duchesses culbutées !
Que de bourgeoises insultées !
Ce n’était partout que clameurs.
Ah, ah ! j’étouffe, je me meurs !
Et semblables farces galantes
Dont elles furent peu contentes.
À ces causes, tout bien examiné,
Et de tous sens considéré,
Nous susdit, généralissime,
Pour le grand cas et haute estime
Que dudit Bernage faisons,
Par ces présentes lui donnons
De nos bals la surintendance,
Dans la très ferme confiance,
Que, sous la calotte des cieux
N’est calotin qui puisse mieux
Qu’icelui conduire sa barque
Et plaire à notre grand monarque.
Et comme ce poste éminent
Demande un train à l’avenant,
Et partant surcroît de dépense,
Nous, de notre pleine puissance,
Ajoutons à ses revenus
Six cent cinquante mille écus,
À les avoir, toucher et prendre
Sur tous effets que soulons vendre
Tous les ans en janvier et mars,
Qui sont, entre autres, les brouillards
Et exhalaisons de la Seine,
Depuis Chaillot jusqu’à Vincennes,
Comme aussi ces fiers tourbillons
Qui forment chaufrettes [sic] et chaudrons
où font rôtir entre leurs cuisses
Châtaignes, boudins et saucisses,
Sur tous les quais et parapets
Ces femmes à poil de barbets.
Et comme toute seigneurie
S’annonce par les armoiries,
Voulons qu’il porte pour cimier
Un gros rat sortant d’un grenier,
Clariné de grelots, sonnettes,
Surmonté de deux girouettes.
Donnons à notre dit féal
Pour supports deux pétards en pal,
Écu d’azur chargé d’un ombre [sic]
Semé de papillons sans nombre
Écartelant ledit écu
Avec le sien bien entendu.
Ne prétendant par ces présentes
Diminuer d’ailleurs ses rentes,
Ni qu’il soit pour cela déchu
Du poste dont il est pourvu.
Ains, en tant qu'il soit nécessaire
Baillons à ce rare confrère
Toutes lettres d’affinité
Et de compatibilité,
Pour avoir le libre exercice
De l’un comme de l’autre office.
Si qu’il pourra, comme ci-devant,
Épuiser paisiblement
En décorations de Gille
Les trésors de l’hôtel de ville.
Avec cette clause pourtant
Qu’il ne pourra de son vivant
Construire aucun autre édifice
Pour l’ornement et le service
De Paris et ses environs.
Et si grands travaux déclarons
N’être dus qu’à cerveaux solides,
De réputation cupides,
Non à gens dont l’esprit subtil
Est pour le mince et le subtil [sic].
Fait à Paris le quatorzième
Du mois qu’enferme le Carême,
L’an où Monseigneur le Dauphin
À l’Infante donna la main.
Clairambault, F.Fr.12713, p.81-88 - Maurepas, F.Fr.12648, p.91-96 - F.Fr.10477, f°234-37 - Arsenal, 3359, p.431-36 - Lille BM, MS 147-57