Le tapecul du Père François de la Frette, capucin
Le tapecul du Père François de la Frette, capucin
Je n’aime pas un rimeur effroyable
Qui, dans ses vers, blessant la charité,
Froisse les mœurs des gens de probité.
De ce défaut je ne suis point coupable.
Mais quelquefois je badine et je ris.
Sur ce pied-là je m’érige en poète,
Et je ne viens que pour vanter le prix
Du tapecul du capucin La Frette.
J’en admirai la matière et l’ouvrage
Quand je le vis pour la première fois.
Tel qu’il était, encore je le vois
Et l’on dirait qu’il est dans son jeune âge.
Quoi, toujours gras ? toujours même embonpoint ?
Aurait-il donc quelque vertu secrète ?
C’est un miracle. Il ne dépérit point
Le tapecul du capucin La Frette.
Jadis son maître, allant de porte en porte,
Le fit briller dès ses plus jeunes ans.
Tout y tombait, lapereaux, ortolans,
Pigeons ramiers, gibiers de toute sorte,
Ô que de chiens coururent après lui !
Ce temps n’est plus. La moderne gazette
Est le gibier sous qui plie aujourd’hui
Le tapecul du capucin La Frette.
Que n’ai-je en main le pinceau d’un Apelle
Pour peindre ici ce tapecul charmant.
Nanti de vers, chargé de supplément,
Prêt à crever sous maint autre libelle !
De belle épître et de belle chanson
Vous qui cherchez où l’on peut faire emplette,
Écoutez-moi. L’on en trouve à foison
Au tapecul du capucin La Frette.
Brillants écrits du célèbre Gérente,
Prose enchantée, œuvres du grand Buisson,
Vers tout remplis de rime et de raison,
Dignes enfants d’une lyre charmante,
Eh, d’où vient donc que l’on ne vous lit pas ?
Vous serez lu au cours, à la Grenette.
Venez, venez, logez-vous de ce pas
Au tapecul du capucin La Frette.
Si l’on savait quel beau feu sent mon âme
En le louant comme je fais ici !
Que d’orateurs, que de rimeurs aussi
Voudraient servir une si belle plume !
À tout moment, dans mon petit réduit,
Ce bel objet rend mon âme inquiète.
Le jour je pense, et je songe la nuit
Au tapecul du capucin La Frette.
Mais quelle voix, quelle bouche infernale
Ose en ces lieux murmurer contre lui ?
Cet admirable et gracieux étui
N’est, nous dit-on, qu’une guenille sale.
Sur son odeur on décoche cent traits.
Mais taisez-vous, ô langue peu discrète,
Par quel endroit sentirait-il mauvais
Le tapecul du capucin La Frette ?
Ô tapecul, puissante gibecière,
Toi que Buisson a si souvent flairé,
Toi que les vers n’ont pas même effleuré,
Et que les poux n’ont pu mettre en poussière,
Tu m’éblouis, et ta vive couleur
Brille malgré ton obscure retraite.
Ô Tapecul, des tapeculs la fleur !
Ô tapecul du capucin La Frette
F.Fr.20036, p.278-81